Chronique

Comment Glossier a pu si vite passer de "rising star" à presque "fallen star" ?

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Glossier, c’est l’avenir de la beauté. Une marque qui montre les femmes comme personne ne l’avait jamais fait.

L'incarnation de la DNVB.

Juillet 2021 : Glossier réalise une nouvelle levée de fonds à faire tourner les têtes pour porter le financement total de la marque à 265,4 millions de dollars depuis sa création. Ce dernier tour de 80 millions de dollars mené par un hedge fund américain Lone Pine Capital (ce point mériterait un article entier…) et auquel les actionnaires historiques de la marque (Forerunner Ventures, Index Ventures, IVP, Sequoia Capital et Thrive Capital) ont également participé, doit notamment financer le développement international de la marque et le retour vers le "brick and mortar".

Mais lever de l’argent traduit-il vraiment le succès d’une entreprise ? Devrions-nous continuer de mesurer la performance d’une société à convaincre les - mêmes - investisseurs encore et encore ? Avant d’apporter un éclairage à cette question fondamentale, revenons à 2014, année où Emily Weiss, jeune et brillante entrepreneure américaine née dans le Connecticut - non loin des bureaux de Lone Pine Capital - lance Glossier : une version Gen Y et Z de la beauté, le look naturel assumé et "dewy" construit autour d’une gamme hyper ciblée de hero-products pensés pour sublimer et non pas pour masquer.

Glossier arrive dans un marché de la beauté qui peine à se réinventer depuis de nombreuses années. Entre giga marques toutes détenues par quelques grands groupes et pléthore de marques indépendantes sans moyen, Emily Weiss surprend, interpelle et aime préciser depuis : "When Glossier launched as a digitally native beauty company, we were an anomaly in our industry, which has been slow to innovate beyond brick and mortar". Glossier a en effet grandement participé, si ce n’est inventé, à la démocratisation d’un tout nouveau modèle de consommation. Aux côtés des Bonobos, Warby Parker, Dollar Shave Club, etc, Glossier a rendu célèbre quatre lettres, les DNVB pour Digital Native Vertical Brands. Ces marques nées sur le web avec la promesse d’un lien plus fort avec leurs communautés, un modèle économique plus vertical entre le produit et le client. Une nouvelle façon d’envisager le marketing, plus engagé et plus engageant.

Sept ans après, Emily Weiss a clairement tracé un chemin et elle continue visiblement de séduire les investisseurs mais pouvons-nous encore faire le même constat avec les clientes ?

©Glossier

La fanbase augmente moins vite que les niveaux de valorisation.

En 2018, la marque annonçait avoir réalisé 100 millions de dollars de chiffres d’affaires et séduit 1 million de nouvelles clientes avec finalement une ligne de produits assez réduite, moins de 40 à l’époque. C’est d’ailleurs ce qui a dû motiver les investisseurs à valoriser la société à 1.2 billion de dollars et lui accorder ainsi le statut de "Licorne" tant convoité par les entrepreneurs. Cependant, sans minorer la performance, aucune trace de rentabilité… on doit certainement l’évoquer entre VC de la Silicon Valley, mais c’est tout. Toujours rien en juillet 2021, et même si la valorisation continue de grimper - 1.8 billion de dollars -, certaines voix commencent à s’élever. Glossier aurait perdu de sa superbe, peinerait à se réinventer. Le message central d'embrasser qui vous êtes et de promouvoir la peau rosée est devenu aussi banal que la "beauté propre". Les consommatrices en demandent - toujours - plus et les plus si jeunes générations Y et Z commencent à évoluer vers des marques offrant une gamme de soins de la peau et de maquillage plus matures et plus "quali", telles qu’Agent Nateur, Hanacure et Charlotte Tilbury.

Farfetch a préféré miser sur Violet Grey.

On retrouve d’ailleurs les marques précédemment citées sur Violet Grey, THE destination beauté récemment acquise par Farfetch et historiquement voisine de Glossier sur Melrose Pl. à Los Angeles. Violet Grey n’est pas une marque, enfin pas une DNVB. C’est un multimarque ultra-curated et super premium qui va chercher le meilleur de la beauté sans apriori ni dogme à part celui de la super efficacité, capable de mélanger Chanel avec Avène et avec des marques coréennes underground : un mix très lucide, extracteur de pépites très en phase avec les attentes des consommateurs.

Ne serait-ce pas là que réside la solution pour Glossier et toutes les DNVB au caractère bien trempé. Cette capacité de réellement écouter les client.es sans tomber dans une formulation trop complexe mélangeant coûts d’acquisition à course à la levée de fonds et discours marketing… A moins que les financiers n’aient encore la réponse et que les SPACs deviennent le nouvel eldorado.

Portrait d’Emily Weiss :

Assistante au Vogue US, Emily Weiss fonde "into the gloss" en 2010 et surfe sur la popularité de son support pour construire une communauté d’addicts pour laquelle elle teste, sur un ton connivent et familier, des produits ultra luxe aussi bien que des staples de deux dollars drugstore. Force est de constater que la formule fonctionne et elle compte vite plus d’un million de vus par mois. Fanbase qu’elle convertit en clients en deux battements de cils et un marketing au cordeau avec Glossier. 

Olivier Rivard-Cohen est le fondateur de l'agence créative Cacio e Pepe et le fondateur et animateur des podcasts Grass.

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