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Et si la chute de Brandless précipitait la fin des DNVB ?

Publié le par Journal du Luxe

Le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe présente en exclusivité la nouvelle chronique de Sébastien Tortu, consultant marketing spécialiste retail et auteur de l’ouvrage « DNVB, le (re)nouveau du commerce ».

Qui était Brandless et pourquoi sa faillite est importante ?

En février 2020, la chute de Brandless aux États-Unis a fait trembler les entreprises D2C (Direct to Consumer).

Brandless, c’est l’exemple de la future licorne qui devait réinventer le retail… et qui s’est finalement coupée les ailes. Fondée en 2017, Brandless vendait des produits du quotidien, biologiques ou naturels, à 3$ l’unité dans un format de marque de distributeur. Son modèle détonnait car il secouait les codes existants avec un soin particulier apporté au packaging et à l’expérience client. Son modèle D2C lui permettait de maîtriser sa chaîne logistique, sans aucun intermédiaire. Acclamée à ses débuts, Brandless avait tout pour réussir. Mais de nombreux grains de sable sont venus enrayer la machine, jetant le doute sur ce type de modèle.

Une DNVB sans les attributs d’une DNVB

Si la chute de Brandless interpelle, c’est que son modèle de disruption s’est retourné contre elle.

Une marque sans marque

La traduction littérale en français de Brandless serait « sans marque ». En optant pour ce nom et en enlevant tout logo du packaging, sa fondatrice considérait qu’elle supprimait ce qu’elle appelait la « brand taxe », c’est-à-dire le surcoût payé par les consommateurs pour acheter un produit de marque. 

Seulement, sans la puissance d’une vraie marque, il était difficile d’exister entre le monde des marques distributeurs et celui des produits de marques. Un flou perturbant pour le consommateur… et une équation impossible pour Brandless car comme pour toute marque, il est nécessaire de la faire grandir, de la faire connaître et de la rendre désirable pour la faire acheter. Or, comment faire ce nécessaire avec une marque sans marque à qui l’on coupe les budgets de branding ? Un postulat presque schizophrène qui n’a pas aidé à pérenniser le futur de l’entreprise.

Une DNVB … horizontale

Brandless proposait une offre très horizontale avec une centaine de produits se retrouvant tous avec des concurrents plus spécialistes qu’elle.  C’est comme si Tediber avait lancé un matelas, une cuisine, un canapé, un frigo et une télé … Soit on est vertical et on se concentre sur un segment clair, soit on est horizontal et on s’appelle une grande surface.

Il est important de rappeler que le succès d’une DNVB consiste à se positionner avec succès sur une niche et faire grandir sa gamme de produits en même temps que sa marque et sa communauté. Ils ont fait tout le contraire …

Un prix unique et une marge faible

Chez Brandless, tous les produits étaient au même prix : 3 dollars. Or, pour un prix aussi faible avec une marge minime, il était presque impossible de gagner de l’argent en produisant, commercialisant, vendant et transportant les produits. 

Brandless n’avait pas totalement intégré toutes les contraintes du transport à son modèle, ce qui représente un coût significatif de la commande. En effet, alors que l’entreprise vendait uniquement en ligne (à l’exception de quelques pop-up stores ponctuels), il leur fallait vendre près de 7 produits pour payer le transport et la logistique liée à la commande… sans compter la matière première et la marge. Un modèle économique impossible à tenir !

D’autre part, la seule variable de ce format au prix unique résidait dans la quantité de produits par paquet. Au lieu de vendre, par exemple, 10 unités comme on a l’habitude de le voir dans le commerce traditionnel, Brandless vendait 2,5 unités pour que cela corresponde au prix de 3$. Pour le client, ce positionnement est complexe à appréhender, car il revient à acheter de la viande séchée au même prix que des cotons-tiges. Une démarche loin d’être intuitive alors que nous avons tous nos référentiels de prix en tête.

Des investisseurs sans vision

SoftBank a investi près de 240 millions de dollars dans Brandless. On peut imaginer assez facilement qu’ils s’attendaient à faire au minimum fois 2 dans les 5 à 7 ans à venir. Or ont-ils seulement réfléchi à qui ils allaient pouvoir revendre le bébé ?

Avec une mise de fonds aussi importante, le nombre d’acheteurs potentiels futurs se réduit considérablement. Ceux qui restent sont les plus gros distributeurs…  qui ont déjà leurs marques distributeurs.

Brandless est née pour tuer Walmart et consort. Finalement, elle sera morte avant d’avoir pu aller au bout de son idée. Pire : son seul salut aurait été que ses produits soient distribués par Walmart ou qu’ils les rachètent. Un étrange paradoxe…

La chute de Brandless est un sérieux coup de semonce pour les DNVB qui vivent en permanence sur un fil. Le moindre écart pourrait alors être compliqué : dans marque de distributeur, il y a le mot distribution. Et c’est justement ce qui faisait défaut à Brandless. Dans un marché en évolution permanente où les ombres d’Amazon et des autres géants ne sont jamais loin, un nouveau business model n’est pas suffisant pour réussir. Pourtant Brandless a bousculé les codes et a osé innover. Était-ce suffisant ? Non. Mais ils ne sont ni les premiers ni les derniers à vouloir bousculer les codes du retail. Toutefois même quand on veut tout réinventer, il y a des codes à respecter…

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