Chronique

Le luxe en convalescence, la beauté en résilience : cartographie des nouveaux relais de croissance

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Une récession confirmée, une résilience relative

Le marché du luxe traverse indéniablement une phase de ralentissement. En 2024, le secteur est officiellement entré en récession avec une contraction de 1 %. Cette tendance s’est prolongée au premier semestre 2025, avec un recul estimé à 1,5 %, selon les données conjointes de Bain et HSBC. L’ensemble de l’année 2025 devrait ainsi se solder par une performance négative.

Ce repli contraste avec la dynamique plus robuste du secteur de la beauté, qui continue de faire preuve d’une résilience notable. L’Oréal, par exemple, a enregistré une croissance de 3 % au premier semestre 2025, malgré un environnement de marché dégradé.

La désertion d’une partie de la clientèle du luxe s’explique par trois facteurs principaux. D’abord, une lassitude face à la hausse répétée des prix, particulièrement marquée durant la période Covid : le prix des sacs iconiques de Chanel, par exemple, a doublé en quelques années. Ensuite, un climat d’incertitude économique nourrissant la prudence dans les décisions d’achat. Enfin, un sentiment de manque d’innovation et d’originalité de la part des grandes maisons, perçu comme une forme d’essoufflement créatif.

Relativiser la correction : une normalisation plus qu’une rupture

La situation mérite toutefois d’être nuancée. Il ne s’agit pas tant d’un basculement structurel que d’un retour à la normale après plusieurs années de croissance exceptionnelle. Le marché du luxe en 2024 restait ainsi 25 % plus important qu’en 2019.

Des signaux positifs pour la fin d’année sont d’ailleurs relevés par Barclays et HSBC. Plusieurs facteurs soutiennent ce regain d’optimisme : le lancement de produits à prix plus accessibles, à l’image de l’entrée de Louis Vuitton dans le maquillage, répond à deux critiques majeures — la flambée tarifaire et l’absence d’innovation. Dior bénéficie également de perspectives de redressement encourageantes sous sa nouvelle direction artistique : le défilé inaugural de Jonathan Anderson en juillet a réuni un million de spectateurs en livestream, générant plus d’un milliard de vues cumulées sur les réseaux sociaux.

L’arrivée de Luca de Meo à la tête de Kering est aussi perçue comme un atout pour mener les transformations nécessaires. Enfin, des signes précoces de reprise se manifestent en Chine : Barclays anticipe une amélioration des ventes après un été atone, tout en prévoyant encore un recul de 5 % au troisième trimestre 2025 et une baisse annuelle d’environ 10 %.

La résilience du secteur de la beauté, quant à elle, s’inscrit dans un mouvement de fond. Ce marché n’a connu qu’une seule année de repli entre 2010 et 2023 — en 2020. Aux États-Unis, le segment de la beauté prestige continue d’ailleurs de progresser, malgré la dégradation du moral économique.

Les nouveaux relais de croissance : géographies et niches porteuses

Les acteurs qui traverseront avec succès cette période de correction seront ceux capables d’identifier et de capter les poches de croissance existantes.

La première opportunité est géographique. Les dirigeants du luxe et de la beauté concentrent leur optimisme sur quatre zones clés : l’Inde, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine. En Inde, le marché de la beauté prestige — déjà valorisé à un milliard de dollars — devrait croître de 14 % par an d’ici 2028. Au Moyen-Orient, le marché du luxe a progressé de 8,4 % entre 2019 et 2024, puis de 6 % entre 2023 et 2024. La mode représentait 43 % du marché en 2024, tandis que la beauté affichait la croissance la plus rapide, à 12 %. Les Émirats arabes unis dominent la zone (56 % du marché), suivis par l’Arabie saoudite (18 %).

La deuxième opportunité réside dans certaines niches sectorielles.

  • Le parfum reste le moteur principal de la beauté, avec une croissance annuelle de 8 % entre 2019 et 2024, et une projection de 6 % entre 2024 et 2030. Le segment attire de plus en plus de maisons de luxe, à l’image de Balenciaga qui lancera sa collection de parfums prestige en septembre 2025. Cette dynamique est alimentée par les jeunes générations — qui associent le parfum au bien-être — et par la zone Asie-Pacifique, qui progresse de 8,9 % sur le segment. La croissance de Puig au premier semestre 2025 en témoigne : +8,6 % sur le parfum, +16,5 % en Asie-Pacifique.

  • La joaillerie représente une autre poche solide de croissance. Bain anticipe un taux annuel composé de 4 % à 6 % entre 2025 et 2027. Les hausses de prix y ont été plus modérées que dans la mode, ce qui a permis de préserver la fidélité des clients. Richemont l’a démontré avec +8 % de ventes dans sa division joaillerie sur son exercice 2025.

  • Enfin, le bien-être — un marché évalué à 2 000 milliards de dollars — constitue un troisième territoire de développement. Les jeunes générations privilégient de plus en plus l’expérience sur la possession : elles représentent 41 % des dépenses liées au bien-être. Les frontières entre luxe matériel et expérience se brouillent, comme le montrent l’essor des hôtels Bvlgari et Armani, ou les investissements du fonds L Catterton dans la restauration et le sport haut de gamme. Les marques qui réussiront demain seront celles capables de proposer un écosystème de vie aspirationnel, mêlant produit et expérience.


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