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Un plaidoyer en faveur de la folie

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Avec l’essor et l’explosion de l’IA, les agences s’engouffrent. Les capacités d’analyse de marché et de ce que le client désire ouvre des perspectives incommensurables en termes de rationalisation d’une offre qui correspondra à la demande et permettra une commercialisation plus certaine.

Fini, les risques pris sur la base d’une vague intuition et de biais personnels ; fini les "hit and miss". Enfin, les marques de luxe peuvent se mettre à l’écoute de leurs clients et leur donner ce qu’ils attendent.

La logique est implacable.

Mais une marque de luxe est-elle mue par la logique ? Non.

Une marque de luxe est déraisonnable par nature et c’est sa folie qui la pousse à trouver une couleur et s’y inscrire ; à s’ancrer dans un territoire et un vocabulaire ; à se doter d’un animal fétiche sans en changer ; à s’enraciner dans son patrimoine. Elle accumule et construit ses signatures dans le temps et n’hésite pas à investir dans des outils de propriété intellectuelle qui peuvent parfois durer 100 ans voire plus avec un peu de créativité juridique. Ces instruments ancrés dans la loi affirment et protègent les choses élusives qui font la singularité d’une marque de luxe. Et les marques s’en servent pour défendre leur fameux "ADN" - leur territoire.

Pour autant, ces marques seraient bien avisées de chercher leur inspiration dans des données. Les arguments abondent :

  • L’IA évitera la folie de confier les nouveautés à des personnalités biaisées. Logique (quoique les études montrent que l’IA est un monstre de biais collectifs) : mais écarter les personnalités au motif qu’elles sont biaisées c’est aussi ignorer que le luxe s’est construit par, avec et grâce à des personnalités énormes qui portent en elles des biais aussi énormes que des visions créatives et uniques. Le chassé-croisé de directeurs artistiques que nous observons révèle une course endiablée pour trouver LA personnalité qui permettra de se distinguer, de raviver une marque qui se perd. Ces directeurs se plongent d’abord dans l’histoire de la Maison pour en raviver les codes, signatures et éléments d’identité pour en donner leur interprétation avec leur sensibilité avant de se préoccuper des modes et tendances.
  • L’IA permettra une gestion plus rationnelle qui limitera les invendus. Logique. Et si ces invendus avaient une valeur inestimable ? Le bracelet Juste un Clou créé dans les années 70 en hommage à la Comédie musicale d’Andrew Lloyd Weber Jesus Christ Superstar (le clou de la crucifixion) a été un flop. Puis 40 ans plus tard est devenu un best-seller vendu sous un narratif d’affirmation féminine.
  • L’argument de la sustainability : Logique. Mais aujourd’hui le marché secondaire offre une plateforme nouvelle pour que ces créations non comprises et invendues trouvent une seconde vie en attendant leur résurrection peut-être un demi-siècle plus tard. Les incomprises coûtent sans doute cher sur l’année fiscale mais une marque de luxe s’inscrit dans le temps !
  • L’IA apporte de la précision prédictive. Logique. Elle est basée sur des calculs de probabilité. Mais la probabilité sera la même pour tout le monde. Même si la mode défile à un rythme plus effréné que les marques joaillères et horlogères, toutes construisent année après année un style, des signatures. Si toutes les marques se basent sur les mêmes probabilités comment, sur la durée, s’affirmer ? Quelles signatures protégeables et exclusives pourront en ressortir ?
  • L’IA libère les créateurs d’erreurs d’investissement pour se concentrer sur le génie : Logique. Sauf que sans erreurs il n’y a pas de génie.

Utiliser une IA pour découvrir plus largement les trésors d’un patrimoine sous-exploité, l’employer comme une aide à l’exploration créative puis l’associer à des analyses de tendance pour apporter de nouveaux outils aux créatifs et décideurs – voilà une manière de préparer une nouveauté en s’appuyant sur ce que peut apporter la technologie.

Mais surtout surtout : laissons à Shein la recherche de gain, d’efficacité, de productivité, et de rationalisation avant tout ; laissons ces Maisons être guidées par l’émotion, l’irrationnel et la folie ! Chérissons l’arrogance et la folie d’une marque qui impose à ses clients sa beauté, sa personnalité, sa force.

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