
Symposium du Luxe Européen 2025 : comprendre le basculement d’un secteur en quête de souveraineté culturelle
Publié le par Journal du Luxe
Dans un Pavillon Presbourg complet, le Symposium du Luxe Européen a réuni, le 19 novembre, plus de 90 dirigeants et experts pour décrypter les mutations profondes qui redessinent le périmètre du luxe. Loin d’un événement célébratoire, cette journée a été pensée comme un miroir tendu à l’industrie : un moment de lucidité, de vérité et de projection stratégique.

À travers les regards croisés d’historiens comme Sophie Abriat, d’économistes tels que Franck Delpal (IFM), de dirigeants médias dont Raquel Bubar et Jennifer Landau (The New York Times) ou Christophe Jakubyszyn (Les Échos), et des experts de frog / Capgemini Invent — Gagandeep Gadri, Anne-Laure Colcy, Caroline Le Bars, Maxime Girardeau — un récit cohérent s’est tissé : celui d’un luxe européen à la croisée des chemins, entre nécessité d’ouverture, urgence industrielle, révolution technologique et quête renouvelée de sens.
Europe : fin d’un centre, début d’un dialogue mondial
En ouverture, Sophie Abriat a rappelé que le prestige européen n’est pas un bloc monolithique mais une construction historique nourrie de circulations, d’influences et de rivalités. Ce qui semblait intangible — la centralité culturelle de l’Europe — vacille désormais face aux ambitions créatives de la Chine, de l’Inde ou du Moyen-Orient.
Loin d’un déclin, elle décrit une transition : le luxe n’est plus centré, il devient polyphonique. L’Europe n’est plus le référentiel unique, mais un acteur parmi d’autres — avec la responsabilité de proposer, non d’imposer.
Pour les maisons, cette recomposition impose un changement de posture : moins de verticalité, plus d’écoute ; moins de mythologie figée, plus de réinvention.

Industrie : Une Puissance Culturelle Construite sur une Fragilité Matérielle
Franck Delpal (IFM) a ensuite mis en lumière une tension essentielle : la puissance culturelle du luxe européen repose aujourd’hui sur une infrastructure industrielle fragilisée.
Derrière le ralentissement observé depuis 2023 se cache une transformation structurelle :
– lassitude des consommateurs face à la standardisation,
– perte de valeur perçue,
– vieillissement des ateliers,
– érosion des savoir-faire,
– montée des dupes comme symptôme d’un rapport brouillé au prix.
Ce diagnostic a été renforcé par les interventions de Laurent Dhennequin (Comité Colbert) sur la souveraineté créative, et de Frédéric Blanc (Dennemeyer) sur les enjeux juridiques et la lutte contre la contrefaçon dans un marché fragmenté.
L’Europe conserve la culture ; elle risque de perdre l’outil. Et l’un ne survivra pas sans l’autre.

Médias : reprendre le contrôle du récit… en acceptant de ne plus le posséder
Le récit médiatique s’est imposé comme un autre terrain de tension.
Raquel Bubar et Jennifer Landau, du New York Times, ont montré que la mode n’est plus une rubrique douce : elle devient un espace d’enquête, d’analyse culturelle et d’observation des mutations sociales.

À leur tour, Christophe Jakubyszyn et la rédaction des Échos ont partagé leur mutation interne : une newsroom organisée comme une “cuisine créative”, où l’information économique se déploie sur des formats multiples — print, app, vidéo, sélections éditoriales.
Ce basculement médiatique oblige les maisons à accepter une nouvelle réalité : elles ne dictent plus la narration, elles coexistent avec elle.
L’attention se gagne, se mérite, se nourrit. Le prestige ne suffit plus : il faut de la matière.

Sens, IA, HNWI : la nouvelle grammaire du désir
La dernière séquence, portée par Gagandeep Gadri, Anne-Laure Colcy, Caroline Le Bars et Maxime Girardeau (frog / Capgemini Invent), a projeté le luxe dans son futur immédiat.
L’étude menée auprès de 6 400 HNWI montre un basculement profond :
le luxe est devenu un langage du sens, où l’on cherche refuge, appartenance, transformation, liberté.
Dans cette cartographie émotionnelle, une notion s’impose : l’IA invisible.
Non pas l’IA qui remplace, mais celle qui amplifie :
celle qui aide les artisans, renforce les conseillers, fluidifie les parcours, éclaire la création.

Les interventions de Rémi Oudghiri et Nicolas Riou (IFOP), de Camille Comte (Bluelink) et de Gabrielle Guillaume (Uber Advertising) ont prolongé ce constat : les clients réclament cohérence, authenticité, personnalisation profonde, et une relation débarrassée de ses artifices.
La valeur n’est plus dans l’excès, mais dans la justesse.
Un luxe européen qui doit désormais se réinventer avec lucidité
Au fil des interventions, un récit net s’est dessiné :
le luxe européen n’est plus un héritage à protéger, mais une souveraineté à réinventer.
Face à des marchés qui se recomposent, à une industrie qui se fragilise, à des médias qui se transforment, à des clients qui exigent du sens, le secteur doit engager une refondation profonde.
Non pas une rupture, mais un recentrement :
retrouver ce qui fait l’âme du luxe — la culture, la maîtrise, l’intelligence sensible — et le projeter dans un monde devenu multiple, technologique, accéléré.
Un livre blanc viendra prolonger ces réflexions dans les prochaines semaines : une invitation à approfondir ces enjeux et à saisir, en détail, les lignes de force qui redessinent aujourd’hui le luxe européen.
Cette matinée fut moins une photographie qu’un manifeste : le luxe européen ne doit plus seulement séduire ; il doit signifier.
Et c’est peut-être là que commence sa renaissance.
