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Le néo luxe : façons d’être et façons de parler.

Publié le par Journal du Luxe

Le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe présente en exclusivité la nouvelle chronique de Jeanne Bordeau, linguiste, véritable détectrice de tendances sur ce que la langue nous raconte du luxe.

La genèse du néo luxe.

« Comme leurs grandes sœurs du luxe, les marques du néo luxe, nées depuis les années 2000, aiment raconter leurs origines. C’est tendance ! 

Si Simon Porte rend hommage à sa mère disparue et donne à sa marque son nom de jeune fille, Jacquemus, la maison de champagne Armand de Brignac se relie, elle, aux extravagants flacons de Courrèges qui ont inspiré la forme particulière de ses bouteilles métallisées. Vilaines filles mauvais garçons, avec ses savons sculptés tels des camées, nous conte le parcours de femmes émancipées – Colette, Virginia Wolf. Et quant à Arnaud Poulain, fondateur des parfums Les Eaux Primordiales, il déclare, lui, sa « marque autobiographique. »

Comme l’écrit Giuseppe Tomasi di Lampedusa, « puisqu’il faut que tout change pour que rien ne change », le néo luxe se plaît à mettre également ses métiers en lumière comme le luxe traditionnel : « maître chapelier » – Courtois Paris ou « artisan verrier » – Baobab. Les jeunes marques les plus inventives vont jusqu’à imaginer de nouveaux métiers : « tailleur de cycles » chez Ernest, « travel designer » chez Eluxtravel, ou « artiste tatoueur » pour la haute lunetterie Lucas de Staël. Le mot « designer » semble remporter tous les suffrages et se promène du voyagiste Eluxtravel jusque chez Jacquemus et le joailler Courbet, et s’en va faire un tour chez le chapelier Courtois.

Mais, surtout, le néo luxe se nourrit d’inventivité et de technologie avec l’intention affirmée de déplacer les lignes et de toucher les millennials. Le bouleversement qui souffle sur ces marques « digital native » se lit. Lucas de Staël veut « combiner le savoir-faire avec l’esprit d’innovation » et crée ses lunettes dans son « experimental laboratory ». La Bouche rouge veut « révolutionner l’industrie de la beauté ». Courbet « crée en laboratoire des diamants de synthèse ».

Le luxe se responsabilise.

2019 est une année « designée », « disruptive », inventive, mais surtout une année verte ! Le champ sémantique de la RSE et de la consommation responsable monte en puissance. 

Exigeants, les consommateurs demandent traçabilité et transparence, ils veulent des créations saines, durables, locales, respectueuses de l’environnement. Ces jeunes marques savent mieux que leurs aînées mettre en vert leurs mots et leurs comportements. Les matériaux sont « écologiques », « biodégradables » et « éco-responsables ». Ainsi, Vilaines filles mauvais garçons développe un processus de fabrication « peu gourmand en énergie ».  Eluxtravel souligne la nécessité de « limiter la production de déchets » même si ça ne fait pas rêver ! Ernest imagine des « vélos en bambou et en lin ». La Bouche rouge vend la « french clean beauty ». Elle veut « réconcilier luxe et éco-responsabilité pour que le futur soit vertueux et circulaire », son design est « durable », ses composants « sans produits toxiques pour la santé », « sans perturbateur endocrinien », ses « écrins rechargeables sans plastique ». Que de vertes promesses ! 

Le nouveau prodige de la mode Marine Serre va plus loin que le luxe classique et confirme définitivement cette tendance « verte » : puisqu’elle « conçoit ses créations selon des pratiques environnementales rigoureuses » et surtout utilise « la technique du surcyclage » – nouvelle technique d’éco-création qui consiste à récupérer des matériaux usagers

Le désir du très personnel.

Enfin, le néo luxe n’échappe pas à l’obsession de l’époque, il doit faire vivre une expérience à chaque client grâce à la personnalisation. Ces marques sont ouvertes sur le monde entier, elles parlent anglais, mais, c’est paradoxalement l’intime qu’elles recherchent. Courbet invite le client dans « son appartement au 7 place Vendôme », Eluxtravel convie le voyageur dans ses « salons de voyage » et invente le concept « Luxepériences ® » qui compose « une partition particulière ». Expérience authentique exigée, Ernest prend le temps d’une « étude posturale » pour chaque vélo fabriqué. Courtois nous imagine un chapeau en lien avec « la forme de notre visage, avec notre teint, notre personnalité ».

Quant au mariage du luxe avec la beauté, il reste un must profond pour toutes ces nouvelles marques. Si le luxe est temps et beauté, et si ces marques adolescentes n’ont pas encore flirté avec le temps, seul le mot patience apparaît, elles ont déjà un amant : le beau ! L’art est à chaque coin de phrase : Jacquemus vit avec Picasso, Baobab travaille avec l’artiste Antoine Carbonne, les Eaux Primordiales s’inspirent des photographes Bernd et Hilla Becher, Armand de Brignac se relie aux chanteurs de rap américains. La relation du luxe avec la beauté est presque incestueuse et la liste à citer serait infinie ! »

Extrait du 3ème observatoire sémantique sur le néo luxe de l’Institut de la qualité de l’expression – Jeanne Bordeau #madamelangage.

Crédit à la Une : © Andrey Kiselev

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