Chronique

L’art du paradoxe : Balenciaga Maestria.

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Alors que Balenciaga a récemment été consacrée marque la plus convoitée pour le second trimestre consécutif en 2021 selon le classement Lyst, sa campagne Printemps-Été 2022, qui suit une série de campagnes de communication plus magistrales et impactantes les unes que les autres, symbolise parfaitement la culture du paradoxe sur laquelle reposent le positionnement et la stratégie de la maison du groupe Kering.

En associant les hyper-médiatiques Kim Kardashian et Justin Bieber à la cérébrale et discrète Isabelle Huppert au sein de la même campagne, sous l’objectif de l’artiste photographe Stef Mitchell, Balenciaga se joue des stéréotypes tout en affirmant sa maîtrise du grand écart et en revendiquant la diversité de sa cible.

Culture visuelle des années 1990/2000 et métavers.

Il n’est pas surprenant que Demna Gvasalia, le directeur artistique de la maison, ait confié à Vogue que "les années 90 sont la décennie pendant laquelle j’ai réalisé que j’aimais la mode". Ses créations pour la maison parisienne témoignent de son attachement pour la culture visuelle de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle.

L’esthétique inspirée des sous-cultures de cette période, les diverses références, de Matrix aux Simpsons, ou les fausses VHS de la collection "the Lost Tapes" pour l’automne-hiver 2022, se mêlent aux projections critiques sur notre futur proche, dont la marque anticipe toutefois les développements stratégiques.

Sous l’impulsion de son CEO, Cédric Charbit, Balenciaga est ainsi l’une des premières maisons de luxe à s’être positionnée sur le métavers - qui devrait générer 10% des revenus du marché des biens de luxe d’ici 2030 d’après Morgan Stanley -, en créant une unité dédiée. Elle est également l'une des marques de luxe à s’être le plus illustrée dans les univers virtuels, notamment par des NFTs et plusieurs incursions dans le domaine du gaming.

Elle dévoile encore sa culture du paradoxe en créant des contenus d’apparence contradictoire et empreints d’autodérision, comme sa campagne printemps 2022. La marque y collabore avec l’artiste contemporain Ikeuchi Hiroto, qui a créé pour l’occasion des exosquelettes faciaux robotiques, singeant la technologie des casques de réalité virtuelle et dénonçant une forme d’isolation sociale. Avec une ironie parfaite, cette campagne est intervenue quelques mois après que la marque a créé l’événement en dévoilant son propre univers de jeu virtuel pour la présentation de sa collection automne hiver 2021.

Défilés iconiques et alternatives digitales novatrices.

Explorant le concept de défilé et repoussant régulièrement ses limites traditionnelles, Balenciaga a ainsi dévoilé sa collection de l’hiver 2021 2022 à travers un jeu virtuel accessible à tous via un site dédié. Intitulé "Afterworld : The Age of Tomorrow", ce jeu permet à l’internaute - après avoir choisi son avatar - de poursuivre une quête à travers plusieurs univers dystopiques tout en découvrant les nouvelles créations de la marque, avant d’accéder à l’aube d’une nouvelle ère, plus optimiste.

Adepte des alternatives digitales novatrices, la marque a également présenté deux "faux défilés" digitaux. Le premier a été imaginé à l’occasion de la collection Resort 2022 pour laquelle la marque a utilisé la technique du deepfake et a réalisé un défilé de clones dont seuls les vêtements et les accessoires existaient In real Life. Le second, pour l’automne hiver 2022, avec la reconstitution fictive d’un défilé des années 90 et un cameo post-show de figures emblématiques de l’époque, telles que la journaliste de mode Kathy Horyn ou le top-model Naomi Campbell.

Mais le digital n’est pas le seul champ de réinvention du défilé de mode exploré par Balenciaga, à qui l’on doit le show le plus commenté de 2021, pour lequel un épisode spécial des Simpsons a été réalisé et dont le tapis rouge était le réel défilé. La maison parisienne est coutumière des défilés physiques emblématiques et disruptifs, comme celui organisé dans un espace où figurait le Parlement Européen en pleine tempête du Brexit - printemps été 2020 - ou celui questionnant notre avenir climatique, pour lequel les mannequins ont défilé les pieds dans l’eau sous un ciel de fin du monde, pour l'automne hiver 2020.

©Balenciaga

Haute Couture et subversion.

Demna Gvasalia sait également mêler la tradition à l’iconoclasme, notamment concernant son sens aigu de l’architecture du vêtement et sa passion respectueuse de la haute couture et de ses savoir-faire.

Le défilé organisé pour sa première collection haute couture, dans les salons historiques de Balenciaga reconstitués à l’identique, reprenait les codes des présentations des collections de l’époque de la fondation de la maison. Quant à la collection, elle fusionnait l’héritage esthétique et technique de Cristobal Balenciaga avec les silhouettes surdimensionnées et imprégnées de sous-cultures de Demna, à la fois aristocratique et démocratique, genrée et non-genrée.

La stratégie subversive de la marque s’illustre également à travers, ses diverses réinventions du concept de collaboration. Les partenariats mutants de Balenciaga prennent des formes inattendues, telles que le hacking de Gucci pour le centenaire de la maison italienne ou l’association tripartite sur le projet "YEEZY x Gap Engineered by Balenciaga".

Bien armée pour 2022, Balenciaga devrait poursuivre sa stratégie oxymorique et conserver ainsi son aura.

Sandra Krim est professeure et consultante dans le luxe, la mode et l’image de marque.

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