Pieter Mulier et l’héritage d’Alaïa : les enjeux pour la culture de marque.

Publié le par Journal du Luxe

Projeter la marque vers l’avenir : telle est la mission du nouveau Directeur Artistique de Maison Alaïa, Pieter Mulier. Sandra Krim, consultante dans le luxe, la mode et l’image de marque, nous explique l’héritage de la marque et les défis du couturier. Une exclusivité pour le Club des Chroniqueurs du Journal du Luxe.

Du changement chez Alaïa.

Désigné Directeur Artistique d’Alaïa le 5 février, Pieter Mulier dévoilera sa première collection pour la maison parisienne à l’occasion de la saison printemps/été 2022. Cette nomination intervient à peine quelques mois après le remplacement de Natacha Ramsay-Lévy par Gabriella Hearst à la direction artistique de Chloé, autre marque de mode du groupe de luxe Richemont. L’affectation récente d’un nouveau CEO à la tête de cette division mode et accessoires, ainsi que l’investissement de 25 millions d’euros dans le projet AZ Factory d’Alber Elbaz, témoignent la volonté de la société de renforcer son activité mode.

©Alaïa

Alors que la maison et le groupe avaient confié la création au studio, le choix d’un nouveau successeur questionne fondamentalement l’identité d’Alaïa et sa capacité d’enrichir durablement sa culture de marque. À plusieurs égards, la maison s’est forgée un statut unique, la différenciant des autres marques de mode de luxe : indépendant des calendriers officiels, Azzedine Alaïa était le seul grand couturier encore vivant à avoir su pérenniser une marque de prêt-à-porter et d’accessoires forte tout en assurant sa direction créative. Par ailleurs, il était l’un des rares designers contemporains à incarner sa griffe.

Un triple héritage culturel.

L’identité et l’image de la marque sont intimement liées à Azzedine Alaïa : du mythe fondateur de la marque à sa vision de la femme et de la couture et, enfin, à son personnage-même et son éthique personnelle.

La pierre angulaire de la culture de marque des maisons de luxe – qui est une composante essentielle de leur aura – réside en premier lieu dans le récit de leur création. À l’instar de Louis Vuitton, Chanel ou Dior, le storytelling d’Alaïa narre le récit de son fondateur. En atteste son arrivée en France pour découvrir la couture, le développement d’une illustre et fidèle clientèle privée et la fondation sa marque éponyme en 1980. La marque Alaïa connaît un succès retentissant immédiat et contribue à définir une des principales silhouettes féminines de la décennie.

Sa vision de la femme et la silhouette magnifiée qu’il définit deviennent également la signature de la marque. Le caractère iconique de son style l’intronise au même panthéon que Gabrielle Chanel, Christian Dior et Yves Saint-Laurent. Formé à la sculpture et indifférent à l’air du temps, Azzedine Alaïa poursuit son œuvre : sublimer les femmes. Le créateur incarne une féminité qui lui est propre et qui nourrit l’imaginaire de la marque. L’influence de sa jeunesse tunisienne, distillée dans ses drapés et plus ostensible dans sa ceinture-corset de 1992 – dont le cuir ajouré rappelle de délicats moucharabiehs – vient également enrichir l’univers et la culture de la marque.

©Alaïa

Sa personnalité discrète, atypique dans l’univers de la mode, contribue également à l’histoire de la maison. La persistance de ses codes et son affranchissement du rythme des collections et défilés sont autant de singularités qui distinguent la marque. Malgré son aversion pour la promotion et la publicité, il est devenu – comme Karl Lagerfeld – une véritable icône, dont les admirateurs continuent de perpétuer le culte.

Les défis de Pieter Mulier.

C’est à ce triple héritage et à une culture de marque extrêmement ancrée que va devoir se confronter le successeur d’Azzedine Alaïa. Le patrimoine créatif et culturel immense laissé par le fondateur sera bien sûr une source d’inspiration primordiale pour le designer belge, qui a pour mission de projeter la maison vers l’avenir tout en entretenant l’intemporalité du génie de son créateur.

©Alaïa

Le nouveau directeur créatif de la maison a en commun avec Azzedina Alaïa un sens aigu de la construction ainsi qu’un profond respect de l’artisanat. Toutefois, son esthétique – imprégnée de l’influence anversoise – est assez éloignée de celle du créateur d’origine. Ainsi, il devra contribuer à enrichir celle de la marque sans la dénaturer.

Pieter Mulier devra en outre réussir l’équilibre de marquer le temps court de la mode de son empreinte sur la maison tout en préservant l’intégrité et l’intemporalité de la marque sur le temps long du luxe. Une première impression de cette nouvelle ère sera dévoilée avec la collection printemps/été 2022, que la maison devrait présenter – en hommage symbolique à son fondateur – hors calendrier.

par Journal du Luxe