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« Une égérie ne doit pas seulement incarner un visage, mais aussi une époque » Stephan Bezy, YSL Beauté
Publié le par Eric Briones
En deux décennies, YSL Beauté s'est imposée comme l'une des marques les plus désirables au monde, en particulier auprès de la Gen Z. Stephan Bezy, le Directeur Général International d'YSL Beauté, revient pour nous sur les leviers de cette réinvention : fidélité à l’héritage d'Yves Saint Laurent, justesse dans le choix des égéries, puissance du storytelling et engagements sociaux forts.
Journal du Luxe
Comment expliquez-vous le succès retentissant et mondial d’YSL Beauté, notamment auprès de la Génération Z ?
Stephan Bezy
Il y a plusieurs raisons, mais la principale est notre fidélité à l’ADN de Monsieur Saint Laurent. À la fin de sa carrière, il disait : "J’ai participé à la transformation de mon époque". Cette phrase guide notre travail depuis plus de 12 ans. Yves Saint Laurent avait cette capacité incroyable à capter l’air du temps, à être pleinement dans son époque. Il a créé sa maison à 25 ans : la jeunesse est véritablement dans les gènes de la marque. Aujourd’hui, nous nous efforçons de rester en phase avec les aspirations contemporaines - celles des millennials hier, celles de la Gen Z aujourd’hui.
Un bon exemple est le lancement de Black Opium en 2014. À cette époque, YSL Beauté n’était plus perçue comme une marque de parfum aspirationnelle pour les jeunes femmes. Avec Black Opium, nous avons souhaité réinventer Opium, en abordant différemment la question de l’addiction. Nous avons fait appel à Edie Campbell pour l’incarner : elle avait ce look aristocratique, un peu tragique, mais aussi très rock. L’idée était d’assumer un parfum noir - aux notes de café - pensé pour une génération accro aux coffee shops. Le film publicitaire tourné de nuit à Shanghai et réalisé par Daniel Wolfe, a cassé les codes : caméra à l’épaule, sans lumière ajoutée, dans la nuit. Nous voulions coller à l’époque, à ses esthétiques, avec une approche jeune, radicale, et cohérente avec la génération des millennials. Ça a été le début d’un renouveau mondial pour la marque.
Et cette dynamique a perduré car nous avons gardé ce cap : rester en phase avec l’époque, parler aux millennials, puis à la Gen Z, et s’exprimer avec leurs codes.
Notre métier est de créer du désir. Cela passe par le choix des égéries : nous avons collaboré avec des grandes célébrités comme Dua Lipa, Zoë Kravitz ou Austin Butler, Lila Moss et Sho. Cette désirabilité passe aussi par les canaux que nous choisissons pour communiquer : nous sommes très présents sur TikTok et Instagram, plateformes privilégiées de la jeune génération. Nous y créons des contenus qui résonnent avec leurs inspirations, avec leurs codes esthétiques. Nous avons cette obsession d’être juste, authentique, sincère et de parler un langage qui est le leur.
Journal du Luxe
Parlez-nous du choix de Dua Lipa pour incarner le parfum Libre. Comment construit-on une incarnation réussie ? Et plus largement, quelle est la place d’une égérie en 2025 pour une marque comme YSL Beauté ?
Stephan Bezy
Dua Lipa caractérise à elle seule l’importance de la justesse du choix d’une égérie. Nous avons eu un vrai coup de foudre pour elle, à l’époque où elle sortait tout juste son premier album. Aujourd’hui, c’est une star mondiale, et pourtant nous avons gardé cette proximité et ce lien de confiance. Nous sommes très heureux d’avoir grandi avec elle. Elle est devenue l’égérie de Libre, mais également l’égérie de notre gamme maquillage. Ce qui est important, c’est qu’elle incarne bien plus qu’un visage : elle incarne son époque. Elle résonne auprès de notre clientèle car elle porte des valeurs fortes. C’est une femme engagée, libre, audacieuse. Elle a lancé Service 95, un blog très actif où elle parle de littérature, d’actualité, de culture. Elle y invite des personnalités, elle anime des débats. C’est une femme forte, intelligente, puissante. Une femme Saint Laurent.
Journal du Luxe
YSL Beauté est très actif sur les questions liées à la liberté et à l’autonomisation des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’impact du storytelling de la marque aujourd’hui ?
Stephan Bezy
C’est un point fondamental pour nous. Les consommateurs, en particulier les jeunes, attendent que les marques prennent position. Et ce n’est pas uniquement du côté client, nos jeunes collaborateurs aussi nous interrogent dès leur arrivée : "Quels sont vos engagements sociaux ? Environnementaux ?". S’engager sérieusement est donc très vite devenu une évidence.
Comme nous parlons d’une femme Saint Laurent, une femme libre, autonome, forte, qui a le contrôle de sa vie et n’est soumise à personne, il nous fallait une cause qui défend ces valeurs. La lutte contre les violences domestiques s’est imposée naturellement. C’est précisément ce type de violence qui prive les femmes de leur liberté, de leur autonomie; ce sont des femmes sous l’emprise d’un mari, d’un ex-compagnon, dans des situations de détresse. Et ce n’est pas simplement une posture marketing : nous avons lancé un programme mondial, Abuse Is Not Love, en collaboration avec plus de 25 ONG, sur nos principaux marchés. Nous avons écouté les besoins de ces associations : elles nous ont demandé du soutien financier, bien sûr, mais surtout de l’aide pour faire de la prévention. Sensibiliser les jeunes sur les campus, dans les écoles, les collèges… Car ces problématiques apparaissent très tôt. Le programme a été lancé en 2020, pendant le Covid, et nous avons rapidement accéléré son développement lorsque nous avons constaté l’explosion des violences domestiques avec le confinement. Avec ce programme, notre objectif est clair : sensibiliser 2 millions de personnes, nous en sommes déjà à 1,3 million. En France, une femme meurt tous les deux à trois jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon. Une femme sur trois dans le monde sera victime de violence au cours de sa vie. C’est une urgence. Nous sommes très fiers de pouvoir aider concrètement à changer les choses, en soutenant ceux qui sont sur le terrain.
Journal du Luxe
Il se dit que la beauté est en train de devenir une véritable source d’inspiration pour le luxe, au même titre que la mode. Quel est votre regard là-dessus ? Et quelle est votre vision de l’avenir d'YSL Beauté ?
Stephan Bezy
En un mot : brillant. Nous avons construit depuis plus de 12 ans une plateforme de marque très cohérente, forte, avec des codes puissants et propres à YSL Beauté. Nous parlons à la Gen Z, parce que la marque est audacieuse, edgy, libre. Mais elle est aussi chic, sophistiquée, luxe. Nous agissons en cohérence avec la maison de couture. Il y a une volonté commune, une convergence. Du fait de son ADN, la marque YSL Beauté a aujourd’hui tous les atouts pour rester une marque dans l’ère du temps. Aujourd’hui, nous parlons à la Gen Z, demain à la génération Alpha. Mais l’esprit reste le même : capter l’air du temps, créer du désir, proposer des objets, des images, des mots, des égéries qui résonnent avec notre public.