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Chronique

À force de tracer droit, le droit déraille

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Noël arrive. Avec la subtilité qui peut caractériser un enfant de 10 ans, mon fils m’a fait découvrir Brickmania sur sa liste au Père Noël. Il m’a expliqué : "ils utilisent de véritables briques Lego anciennes, mais ils les retravaillent et les peignent avec un niveau de détail incroyable pour vendre des kits d’avions de guerre. C’est beaucoup plus cher que les Lego classiques, mais c’est parce que le travail est vraiment magnifique."

À l’heure où les marques de luxe peinent à trouver le bon positionnement vis-à-vis du marché secondaire et des acteurs qui personnalisent leurs produits, Brickmania constitue un exemple frappant de customisation haut de gamme de produits originaux mise sur le marché : l’entreprise ne se contente pas de modifier les produits Lego d’origine ; elle les revend sur le marché et connaît une croissance soutenue.

Nous serions pourtant, en principe, dans le champ de l’exception à la doctrine de la première vente et à l’épuisement des droits, laquelle permet au titulaire de la marque d’empêcher la circulation de produits portant son signe lorsque ceux-ci ont été "modifiés ou altérés". Et pourtant, Lego n’a pas engagé d’action en justice…

De quoi nourrir les spéculations :
Peut-être une menace de poursuites a-t-elle été suivie d’un arrangement ?
Peut-être Brickmania joue-t-elle le rôle d’un "agent double" infiltrant le marché circulaire ?
Peut-être Lego attend-elle son heure avant de lancer une action à dix millions de dollars ?

Ou peut-être Lego a-t-elle simplement choisi de ne pas agir, satisfaite par le fait que :
Brickmania indique très clairement sur son site que les briques sont faites à partir de pièces Lego d’origine ;
la marque Lego n’y est pas utilisée ;
des avertissements précisent explicitement l’absence de tout lien avec Lego et l’absence d’approbation de ses activités par Lego;
les produits vendus sont de grande qualité et revendus plus chers.

Et, au final, Brickmania contribue aussi à l’aura de la marque Lego et à l’idée de sa durabilité.

Pendant ce temps, les acteurs du marché secondaire du luxe ont le sentiment d’avancer sur un champ de mines : que signifie exactement le droit lorsqu’il autorise la "renaissance" des droits de marque après la mise sur le marché d’un produit dès lors que celui-ci a été "modifié ou altéré" ? Est-ce que cela change quelque chose que le produit ait été sublimé ou, au contraire, dénaturé ? Quelle est la différence entre une montre "Frankenstein" (assemblée à partir de différentes pièces) et une version personnalisée mais parfaitement reconnaissable d’une montre d’origine ? Des deux quel est le plus problématique ? Et si le client est parfaitement informé ? Et si la personnalisation se limite à une simple prestation de service sur la montre du client ? Le droit des marques porte-t-il un droit à l’intégrité sur le produit comme un droit moral ? Les réponses semblent différer d’un secteur à l’autre.

Difficile de savoir si l’activité contemplée est hors la loi ou conforme à celle-ci...

Ceux qui choisissent de se lancer dans la personnalisation de produits de luxe de marque le font en priant pour ne pas devenir la cible de la colère d’un titulairede marque décidé à faire un exemple.

Certaines marques de luxe multiplient en effet les actions pour obtenir des décisions leur permettant d’imposer leur droit d’agir en cas d’altération ou de modification. Mais ces décisions apportent des variations et davantage de complexité, ne serait-ce que parce que les profils de "customisers" sont très différents.

Certains proposent une personnalisation haut de gamme de montres appartenant aux clients eux-mêmes (une simple prestation de personnalisation).

D’autres, vont plus loin et revendent les produits personnalisés.

D’autres, à l’image de Brickmania, proposent des objets vintage "recomposés", assemblés à partir de différentes parties pour créer un nouveau produit portant le logo de la marque. Enfin, certains mêlent contrefaçons et pièces vintage authentiques.

Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir sur la légitimité de la personnalisation des produits après leur première vente, la confusion et l’incertitude qui règnent sur ce marché profitent davantage aux fraudeurs qu’aux acteurs créatifs et légitimes de l’économie circulaire. Le fait que certaines catégories de produits paraissent "plus sûres" à personnaliser que d’autres (les briques de construction ou les voitures, par exemple) révèle l’incapacité du droit actuel à appréhender une économie plus sophistiquée et plus diverse.

Un droit conçu dans la logique d’un marché linéaire ne peut pas se plier aisément à celle d’un marché circulaire, tout simplement parce qu’ils ne reposent pas sur la même géométrie. La ligne droite est le chemin le plus court entre deux points, tandis que deux points pris sur un cercle ouvrent la voie à la divergence d’une courbe. Certains soutiennent pourtant que, si les points du cercle sont suffisamment proches, on finit par tracer une ligne droite.

Il y a peut-être un espace pour que le linéaire et le circulaire coexistent. Peut-être existe-t-il aussi un espace pour que les titulaires de marques choisissent leurs "customisers", qu’ils décident de les tolérer (comme Lego semble le faire) ou même de les soutenir officiellement. Mais ignorer ou combattre la courbe du cercle n’empêchera pas le cercle de se former ?

Les règles de la géométrie sont immuables...

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