Chronique
Le piège de l’expérience : vers une désincarnation des marques ?
Publié le par Olivia Dhordain
Dans un contexte de crise, l’industrie du luxe mise sur l’expérience client. Il s’agit d’enchanter le consommateur par des expériences uniques. Les marques rivalisent d’idées pour transformer leurs boutiques, organiser des événements, anticiper les besoins, envies et rêves de leurs clients, afin de leur offrir un moment de vie inoubliable.
La marque se détache ainsi de son produit pour s’incarner dans l’expérience. Plus intangible que jamais, elle se concentre sur la séduction du client pour mieux le fidéliser. Mais ce faisant… ne risque-t-elle pas d’oublier l’essentiel ?
Barbie, ou la métamorphose d’une icône
Le film Barbie a été acclamé comme un exemple de "revival" de marque par la création d’une expérience inédite. Lorsque le CEO actuel de Mattel est arrivé, il a progressivement défini puis déployé sa stratégie, ancrée dans la marque Barbie. Cette stratégie est clairement assumée dans le mot du CEO ouvrant le rapport annuel 2022.
Selon Ynon Kreiz, qui préparait alors le lancement du film, Mattel n’est plus un simple toy business mais un "IP-driven toy business". Le rapport 2023 exulte : la stratégie est validée par le succès du film. "Nous avons transformé Mattel de constructeur de jouets en société de propriété intellectuelle qui gère des franchises", déclare-t-il. En 2024, les ventes de poupées Barbie explosent dans la foulée du film.
Mais en juin 2025, les annonces révèlent une chute de 19 % des ventes de poupées Barbie. Commentaire de Paul Ruh, CFO de Mattel : "La baisse s’explique principalement par le manque de nouveautés produit."
Le cas rappelle celui de Nike, qui s’était muée en marque d’expériences digitales… avant de revenir en arrière après avoir négligé l’investissement produit.
Quand l’expérience absorbe le produit
Mattel s’adapte désormais en cherchant à intégrer l’expérience dans le produit, quitte à ce que ce dernier ne devienne qu’un simple réceptacle. La firme a fait la une des journaux en annonçant être en pourparlers avec OpenAI pour concevoir une Barbie augmentée par l’IA.
L’attrait principal de ce nouveau jouet sera-t-il la poupée elle-même… ou la technologie embarquée ? Que désigne encore la marque Barbie : la technologie ou le jouet ? D’autant que Mattel n’a aucune maîtrise sur cette technologie, mais sa marque sera tenue responsable en cas d’incident. L’annonce survient alors même qu’une action en justice est engagée par les parents d’un adolescent de 13 ans, selon eux poussé au suicide après ses échanges avec ChatGPT.
D’un point de vue existentiel, Barbie pourra-t-elle encore jouer son rôle premier : enrichir et stimuler l’imagination et le jeu des enfants ?
Le piège de la fuite en avant
La désincarnation d’une marque dans l’expérience et le sensationnel porte en elle un risque : celui d’une fuite en avant où une expérience chasse l’autre, appelant toujours plus de spectaculaire et d’audace.
Le cas Barbie pourrait bien servir de fable aux Maisons de luxe.
Luxe et authenticité : la leçon de Coco Chanel
Coco Chanel affirmait qu’en temps de crise, les gens recherchent plus que jamais l’authenticité. Lorsqu’il s’agit de produits de luxe, la marque doit garantir cette authenticité, le soin et le savoir-faire dans la réalisation d’objets inimitables, désirables et exclusifs.
L’expérience client doit évidemment être à la hauteur de la qualité du produit, mais elle n’a de sens que si elle le sert, le sublime et le raconte.
Conclusion
L’expérience client, oui… mais jamais au détriment de la raison d’être de la marque : signer un produit et l’enchantement qu’il procure.
Pour enchanter, il faut innover, créer et - pour paraphraser la chanson de Billie Eilish - se souvenir : What I was made for.
par Olivia Dhordain