Longchamp et [Ai]magination réinventent le luxe narratif sur Tiktok à l’ère de l’IA
Publié le par Eric Briones
Comment une maison iconique comme Longchamp peut-elle s’emparer des nouveaux territoires d’expression sans perdre son âme ? À l’occasion d’un projet créatif inédit sur TikTok, Sophie Delafontaine, Directrice artistique de Longchamp, et Frédéric Raillard, Fondateur et CEO de [Ai]magination, croisent leurs regards sur l’hybridation entre héritage et innovation, entre artisanat et intelligence artificielle.
Ensemble, ils racontent un processus de co-création où le chic parisien dialogue avec les narrations natives des plateformes, et où l’IA devient une alliée sensible plutôt qu’un simple outil.
Journal du Luxe
Comment réussir l’équilibre entre élégance patrimoniale Longchamp et culture TikTok sans sombrer dans le pastiche ?
Frédéric Raillard
Tout l’enjeu, c’est de ne pas forcer la rencontre. Quand une maison comme Longchamp entre sur TikTok, il ne s’agit pas de se travestir ou de plaquer une esthétique maison sur une plateforme qui fonctionne avec d’autres règles.
Notre travail a été d’écouter ce que TikTok peut révéler, pas de le neutraliser. Le chic parisien de Longchamp, son lien au mouvement, à l’énergie de la ville, s’accordent étonnamment bien avec le langage natif de la plateforme — à condition de ne pas le caricaturer. On a donc cherché une tension productive : garder la main sur le ton, injecter du jeu sans tomber dans le clin d’œil appuyé.
L’élégance ici, c’est de savoir jusqu’où aller sans se trahir.
Sophie Delafontaine
Ce qui m’importe avant tout, c’est la justesse. L’élégance de Longchamp ne vient pas d’une posture figée mais d’un équilibre entre ancrage et liberté. Sur TikTok, nous ne cherchons pas à 'rentrer dans le moule', mais à jouer avec notre propre vocabulaire — dans un contexte nouveau.
Le ton est plus léger, le rythme plus rapide, mais le regard reste le nôtre. L’enjeu, c’est de rester fidèle à l’esprit de la maison tout en s’autorisant à respirer autrement.
Journal du Luxe
Comment capter puis traduire l’ADN de Longchamp dans un langage social-natif ?
Frédéric Raillard
Notre point de départ, c’est toujours l’écoute profonde de l’univers de la marque. Chez Longchamp, il y a une idée de légèreté, de liberté urbaine, de style qui ne se prend pas au sérieux. On ne cherche pas à traduire tout ça littéralement, mais à en extraire des constantes émotionnelles : un geste, une allure, un esprit.
Ensuite, on active ce matériau avec les outils narratifs propres à TikTok — la répétition, la surprise, les cuts, la narration fragmentaire. Ce n’est pas un formatage, c’est une re-sémantisation. L’IA vient ensuite comme outil d’interprétation visuelle : elle nous aide à créer des fictions stylisées, des personnages composites, des situations rêvées. On parle d’AI-first, mais la technologie ne vient jamais avant le ton ou le regard.
Sophie Delafontaine
[Ai]magination a compris que l’ADN d’une maison se lit dans les détails : un pli, une texture, une silhouette en mouvement. Le travail n’a pas été de simplifier ou de 'traduire' littéralement notre univers, mais d’en extraire la dynamique : la mobilité, l’insouciance, cette élégance quotidienne qui fait partie de notre histoire.
Le dialogue entre nos équipes a permis de construire un langage visuel cohérent, mais réinventé — plus spontané, plus narratif, sans pour autant se perdre.
Journal du Luxe
À l’heure où l’IA envahit les récits, comment préserver la singularité créative ?
Frédéric Raillard
L’IA n’est pas une baguette magique. C’est un langage. Et comme tout langage, il peut dériver vers l’uniformisation s’il est mal utilisé. Chez [Ai]magination, notre obsession, c’est d’éviter le contenu générique — même (et surtout) quand il est génératif. L’IA ne doit pas lisser l’identité des marques, elle doit l’étirer, la révéler autrement. Pour ça, il faut une direction créative forte, une exigence esthétique, et surtout un cadre narratif qui précède la machine.
C’est dans cette rigueur qu’on évite l’effet 'contenu' L’IA interchangeable. L’IA bien utilisée, c’est du sur-mesure, pas du prêt-à-publier.
Sophie Delafontaine
L’IA est fascinante par les champs d’exploration qu’elle ouvre. Mais elle ne remplace ni la vision, ni l’intuition. Pour moi, ce qui fait la singularité d’une maison, c’est son point de vue. L’outil peut varier, l’intention reste. Nous avons utilisé l’IA non pas pour effacer notre esthétique, mais pour y injecter une forme de rêve. C’est un moyen de faire parler autrement des éléments fondateurs de notre style. L’important, c’est que cela reste incarné.
Si la machine propose, c’est toujours l’œil humain qui décide.
Journal du Luxe
Peut-on innover avec l’IA tout en respectant les métiers de la création ?
Sophie Delafontaine
Je crois profondément à la main. À la main qui dessine, qui ajuste, qui corrige.
Chez Longchamp, nous avons toujours eu cette culture du geste, de l’objet pensé, construit avec soin. L’innovation n’est pas un danger si elle est mise au service de cette exigence. Ce que ce projet montre, c’est qu’il est possible de créer avec l’IA sans perdre la sensibilité ni l’intention créative. Il ne faut pas opposer les mondes, mais les articuler.
Frédéric Raillard
L’IA doit être une extension du champ des possibles pour les créateurs, pas une menace. Ce que nous faisons chez [Ai]magination, ce n’est pas de produire plus vite ou moins cher — c’est de proposer d’autres formes, d’autres temporalités, d’autres récits. Il y a du travail derrière chaque vidéo : de la direction artistique, du sound design, de l’écriture visuelle. On ne remplace personne, on recompose les équipes.
Et les maisons de luxe ont un rôle clé ici : elles peuvent choisir l’expérimentation responsable, valoriser la main, l’intention, la sensibilité.
Journal du Luxe
Est-ce que l’avenir du luxe passe par le "storyfeeling" plus que le storytelling ?
Frédéric Raillard
Oui, clairement. Le luxe aujourd’hui n’est plus seulement contemplé, il est vécu, partagé, interprété. Le 'storyfeeling' — cette idée d’émotion provoquée par un univers de marque — est plus puissant qu’un récit linéaire. Surtout dans des formats courts, immersifs, éphémères. Ce que permet une approche AI-first, c’est de créer des ambiances, des signes, des micro-fictions qui engagent les publics sans avoir à tout expliquer. On ne vend plus une histoire, on crée une sensation.
Sophie Delafontaine
Ce que j’aime dans ce format, c’est qu’il ne cherche pas à tout dire. Il évoque. Il provoque une sensation, une image mentale, un sourire parfois. Ce n’est pas une démonstration, c’est une rencontre.
Le luxe d’aujourd’hui, à mon sens, doit être capable de créer ces moments de résonance — intimes, brefs, mais marquants. Longchamp, ce n’est pas un discours, c’est un style de vie, une énergie. C’est cela que nous voulons transmettre.