
Chronique
Les dupes... et après ?
Publié le par Olivia Dhordain
Et si le problème n’était pas les dupes ? Et si les dupes annonçaient l’essor d’une concurrence de vraies marques de luxe "made in China" ? Le luxe occidental s’ y est-il préparé ?
Il fut un temps où la Suisse était connue sous le sobriquet de "pays de la contrefaçon". En effet, jusqu’à la fin du 19ème siècle, la ville de Bâle vivait d’industries de colorant et de teinture. Avec le début d’une économie plus ouverte, ces industries se sont déplacées vers l’Europe de l’Est, forçant une transformation radicale de l’activité principale de la ville de Bâle.
Chimistes, les patrons Suisses décidèrent de se lancer dans la fabrication de médicaments. Pour apprendre, ils ont d’abord copié les blockbusters des grands acteurs français et américains en imposant peu à peu sur le marché des noms qui nous sont aujourd’hui familiers (Bayer ou Sandoz) – en somme, ils ont produit des dupes. Cela leur était d’autant plus facile qu’il n’existait pas de droits de brevets en Suisse, de sorte que les Français et Américains n’avaient aucun recours juridique pour freiner cette concurrence déloyale. Les Suisses n’en sont pas restés là.
Ayant d’abord appris, ils ont ensuite investi : développant leur savoir-faire, investissant dans l’innovation, lobbyant pour introduire un droit des brevets, renforçant leurs droits de marques et constituant des portefeuilles de brevets de plus en plus imposants. En peu de temps, grâce à l’accélération par la copie, l’industrie pharmaceutique Suisse est devenue une vraie force concurrente sur le marché global des médicaments.
Avec une certaine ironie, l’arroseur devient l’arrosé. Fleuron de l’industrie Suisse, l’horlogerie subit les assauts de la contrefaçon Chinoise depuis déjà longtemps. Le phénomène des dupes s’y est superposé à compter de 2000. La contrefaçon rapporte peu de marges et reste dangereux. Mais copier des icônes horlogères et les commercialiser à un prix très raisonnable sous sa propre marque … c’est tentant – d’autant que le savoir-faire horloger en Chine est bien en place.
À ses débuts en 2013, la marque Chinoise Agelocer est née. Elle se présente comme ayant été créée à Luzern en 1838. Elle offre une série de montres dont le design est calqué sur les icônes de l’horlogerie suisse allemande – des designs "classiques" et sans doute tombés dans le domaine publique. Fort de son succès, elle s’enhardie et s’attaque aux icônes plus marquées :
Mais en dépit d’escarmouches juridiques, la marque Chinoise est désormais installée. Elle s’offre le luxe d’un nouveau départ – d’une nouvelle histoire - en 2020, revendiquant désormais son "made in ChIna" tout en mettant en avant son studio de design en Suisse et ses designers qui ont travaillée pour les plus grandes marques Suisses. AGELOCER mimique les marques de luxe à la perfection : le discours marketing, la catégorisation des collections, la communication, etc… et elle collectionne les prix du design horloger.
La suite ? Elle est déjà en place : chacun aura observé la présence toujours croissante de marques de luxe Chinoise au salon Watches & Wonders – des marques offrant des produits non seulement concurrents mais originaux, innovants, attractifs et (très) compétitifs.
Alors oui, il faut se préoccuper des dupes… mais les dupes sont surtout une invitation à se préparer - pour faire face à une nouvelle concurrence au cœur d’un marché clé dont les consommateurs sont en plein désamour avec le luxe occidental.
Certains y verront une plaisanterie… et pourtant. Déjà Voltaire nous appelaient à une grande humilité vis-à-vis de la Chine – malgré tous les défauts que chacun lui trouvait déjà, Voltaire rappelait "tout cela n’empêche pas que les Chinois, il y a quatre mille ans, lorsque nous ne savions pas lire, ne sussent toutes les choses essentiellement utiles dont nous nous vantons aujourd’hui".
Pour échanger autour de la guerre des dupes, rejoignez le prochain webinar du Journal du Luxe le 29 avril à 18h.

Chronique