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« La génération Z attend des maisons de luxe plus d'engagement et de transparence » Jessy Martias, Meltingcurlz
Publié le par Anaïs Clavell
Suivie par plus de 300 000 abonnés sur TikTok, Jessy Martias alias Meltingcurlz a fait du luxe son sujet de prédilection. Entre déballages de ses derniers achats, récits d’expériences en boutique et critiques assumées du service après-vente, ses vidéos captivent. Rencontre avec une passionnée au regard affûté.
Journal du Luxe
Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ? Comment en êtes-vous venu à créer Melting Curlz et à le faire rayonner ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Le luxe est un secteur qui m'a toujours beaucoup plu, pourtant je n’ai pas grandi dans cet environnement, je viens d’une famille de classe moyenne. Au moment de mes études supérieures, je me suis inscrite à l’EIML Paris - La Grande École de Marketing et Management du Luxe. J’y ai fait un bachelor et un master en marketing du luxe. Ce fut une véritable révélation : j'ai adoré découvrir les coulisses du secteur et apprendre à créer une histoire autour d’un produit. Très vite, j’ai eu envie de partager tout ce que je découvrais sur les réseaux sociaux, mais je n’ai pas osé tout de suite. Il y a cinq ans, parler du luxe n’était pas forcément bien vu, le milieu était surtout associé à l’argent. Je me suis finalement décidée à lancer une série de vidéos dans laquelle je me déplaçais en boutique de luxe pour y acheter l’article le moins cher. Je souhaitais montrer que la gamme de produits dans le luxe est très large, qu’il existe des objets accessibles auxquels on ne pense pas forcément. Au fur et à mesure, ma communauté a grandi, j’ai pu faire des unboxings. Mais loin de moi l’idée de rendre le sujet trop matérialiste : quand je parle de mes derniers achats, l'objectif est toujours d'expliquer l'histoire de l'objet, pourquoi il m'intéresse autant, et surtout parler de sa qualité et de l'expérience vécue en magasin.
Journal du Luxe
Le cœur de vos vidéos consiste à détailler la qualité des produits de luxe. Comment voyez-vous cet item "qualité" en 2025 dans ce monde du luxe tellement chahuté ? Comment une maison peut-elle bien communiquer sur la notion de qualité ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Il est vrai qu’il existe aujourd’hui un énorme enjeu autour de la qualité. Malheureusement, d’après mon expérience personnelle et celle de ma communauté, la qualité semble être passée au second plan. Les retours des clients sont souvent les mêmes : les prix augmentent, mais la qualité ne suit pas toujours. Certaines maisons se démarquent tout de même en mettant la qualité au cœur de leur stratégie, comme Bottega Veneta, Celine ou encore Hermès, qui proposent des services après-vente irréprochables.
Pour communiquer sur cette qualité, les marques doivent aller au-delà des vidéos institutionnelles habituelles. Une simple vidéo montrant les petites mains dans les ateliers ne suffit plus. La nouvelle génération est bien plus exigeante, elle est plus difficile à convaincre. Elle veut davantage de transparence, un contenu moins structuré, plus sincère. La génération Z est aussi plus sensible aux notions d’éthique, elle questionne les marques sur leurs engagements environnementaux, sur leurs chaînes de production. Dernièrement, j’ai trouvé la campagne de Vestiaire Collective particulièrement réussie : elle montrait le parcours d’un sac de luxe Hermès tout en répondant aux questions d’authentification et de clientèle cible.
Journal du Luxe
Dans vos vidéos vous n’hésitez pas à souligner certains défauts ou exprimer votre mécontentement vis-à-vis de certains produits. Comment décririez-vous votre relation actuelle avec les marques ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
J’ai de très bonnes relations avec les marques car je ne cherche jamais à nuire. Les marques savent que chaque critique repose sur une véritable expertise. Certains conseillers de vente me remercient pour mes retours précis et sincères, qu’ils ont souvent du mal à obtenir de leurs clients. Lorsqu'ils sont déçus, ces derniers préfèrent généralement se taire et ne plus acheter.
Journal du Luxe
L'accessibilité a changé de nature dans le luxe. Aujourd’hui, c’est devenu un produit de beauté, un parfum, un café… D’après votre expérience, observez-vous un retour à l’access luxe à travers les sacs, ou pas du tout ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Lorsque je travaillais en boutique, le modèle Speedy de Louis Vuitton était vendu à partir de 400 euros. Aujourd’hui, il est quasiment impossible de trouver un sac de luxe à moins de 2000 euros. Cela me donne l’impression que le luxe accessible a pratiquement disparu. Des marques comme Polène semblent davantage correspondre à cette idée, mais elles ne se positionnent pas (encore) comme des maisons de luxe.
Journal du Luxe
Que pensez-vous des dupes, est-ce une alternative acceptable selon vous ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Personnellement, je ne consomme pas de dupes, mais je ne juge pas ceux qui le font. Les dupes offrent aux aspirational luxury consumers un accès plus facile aux objets qu’ils désirent. À terme, cela peut même les aider à franchir le pas de l’achat de luxe. Il faut le souligner : aujourd’hui toutes les maisons de luxe se copient entre elles. D’une maison à l’autre, il n’est pas rare de trouver des modèles de sacs à main similaires. Alors, pourquoi la fast fashion ne pourrait-elle pas en faire autant, tant qu'elle respecte l’intégrité de la marque et ne tombe pas dans la contrefaçon ?
Journal du Luxe
Selon des études récentes, le taux de satisfaction de l’expérience boutique par la génération Z a baissé de 30%. Quel est votre avis sur l’expérience luxe en boutique ? Est-elle au niveau aujourd’hui ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Je ne souhaite pas blâmer les conseillers de vente, qui, rappelons-le, perçoivent des salaires classiques de conseiller de vente, hormis quelques primes en complément. Cependant, il est vrai que l’expérience en boutique n’est pas à la hauteur non seulement à cause de la rareté artificielle qui est mise en place par certaines marques, qui génère de la frustration chez les clients; mais aussi en raison de l’accueil. Dans mon entourage et au sein de ma communauté, nombreux sont ceux qui préfèrent désormais acheter en ligne ou dans les grands magasins.
Journal du Luxe
Les boutiques de luxe font face à des difficultés de recrutement en jeunes vendeurs. Avez-vous également constaté cette pénurie et comment y remédier ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Il faut se rappeler que la génération Z a des priorités bien différentes des générations précédentes : pour elle, la vie ne doit pas tourner uniquement autour du travail, et le bien-être personnel passe avant tout. Or, dans le secteur du luxe,les attentes sont très élevées et les horaires souvent exigeants.
Journal du Luxe
Une vision de la vie compatible avec cette valeur pilier du luxe qui est l'excellence selon vous ?
Jessy Martias, Meltingcurlz
Effectivement, c’est une question complexe. Traditionnellement, dans le secteur du luxe, le service prime souvent sur le bien-être des employés. La jeune génération accorde une grande importance à son bien-être et à son équilibre de vie. Ce n’est pas un défaut, au contraire : cela pousse les maisons de luxe à se réinventer. Pour convaincre cette génération, elles doivent retrouver l’excellence du service tout en intégrant de nouvelles attentes liées au bien-être.

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