Chronique

La revanche de la Chine sur la contrefaçon

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"Se battre pour défendre ses droits de propriété intellectuelle en Chine ? C’est peine perdue", vous diront les uns.
"De toute façon, les tribunaux donneront toujours raison aux acteurs domestiques", péroreront les autres.
"La contrefaçon est une activité bien trop lucrative", affirmeront les derniers.

Exagération ? Balivernes ? Peut-être simplement des préjugés d’un autre temps.

Aujourd’hui, les tribunaux chinois comptent parmi les plus sophistiqués en matière de propriété intellectuelle. Un résultat qui n’est pas le fruit du hasard, mais celui d’une volonté clairement affirmée et planifiée (comme souvent en Chine).

En août 2014, le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale a instauré les premiers tribunaux spécialisés en propriété intellectuelle, d’abord à Pékin, Shanghai et Guangzhou. D’autres ont suivi en 2017. Cette même année, le premier "tribunal internet" a vu le jour — une juridiction dédiée aux litiges nécessitant des décisions rapides et efficaces. Dès 2019, l’utilisation de la blockchain comme mode de preuve a été admise par la Cour suprême de Pékin. Il aura fallu attendre 2025 pour qu’enfin un jugement français reconnaisse (du bout des lèvres) la validité d’une telle preuve.

Créer des tribunaux, c’est une chose. Mais pour quels résultats ?

Prenons le cas d’un contenu généré par une IA reproduisant une œuvre préexistante. Aux États-Unis, voilà environ deux ans que les premiers litiges ont été initiés — sans qu’une décision claire n’ait encore été rendue. En Chine, le tribunal internet a statué dans le mois suivant sa saisine : une plateforme d’IA permettant à un utilisateur de reproduire une œuvre existante est responsable de contrefaçon. Certes, les dommages alloués restent symboliques, mais le signal est donné.

Même réactivité sur la question de la protection d’une œuvre générée à l’aide d’une IA. Les tribunaux chinois n’ont pas tardé à décréter qu’une œuvre pouvait être protégée par le droit d’auteur dès lors que son créateur avait fourni un effort créatif et fait des choix esthétiques.

Voilà pour les tribunaux internet.

Et ceux de 2014 ?

Force est de constater que — grâce à ces juridictions spécialisées — la Chine est devenue l’un des terrains les plus favorables pour contrer les contrefacteurs. Le concept de "décoration influente", pure création prétorienne fondée sur la concurrence déloyale, permet de faire naître un droit quasi exclusif sur une icône ancienne. Celui qui s’en prévaut peut empêcher un tiers de commercialiser un produit en reprenant certains éléments distinctifs, dès lors que le public les associe immédiatement à la marque d’origine. Un jugement reconnaissant cette "décoration influente" permet non seulement de faire condamner l’imitateur, mais aussi d’exercer une pression efficace sur les distributeurs et les plateformes. Certaines maisons en collectionnent les jugements depuis une dizaine d’années.

L’affaire Baneburry a défrayé la chronique au printemps 2024, lorsque Burberry a obtenu une victoire retentissante contre la société chinoise Xinboli Trading Shanghai, qui commercialisait des copies ornées du célèbre motif écossais, sous la marque BANEBURRY, avec un logo représentant un chevalier — les deux marques ayant été dûment enregistrées. Le tribunal a reconnu que le tartan signature de la maison anglaise constituait une décoration influente. La société défenderesse a été condamnée à verser 6 millions de RMB à Burberry.

Les commentateurs les plus sceptiques hausseront sans doute un sourcil en apprenant que la Chine est désormais une juridiction de choix pour défendre efficacement non seulement ses marques et ses designs enregistrés, mais aussi ses icônes aux droits un peu "fatigués".

Et ils seront probablement incrédules en découvrant qu’une maison d’horlogerie suisse préfèrera désormais confier un dossier de contrefaçon à un juge chinois plutôt qu’à un tribunal helvétique.

Eh oui… les temps changent.

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