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« Un luxe accessible ne doit jamais être un luxe au rabais » Niels Eggerding, Frédérique Constant
Publié le par Sabrina Faubel
Depuis 2018, Niels Eggerding dirige Frédérique Constant avec une conviction forte : incarner une horlogerie suisse accessible, mais jamais au rabais. Ancien du Swatch Group, il rejoint la Maison en 2012, d’abord comme Managing Director, avant d’en prendre la tête six ans plus tard. Fondée à Genève en 1988 par Peter et Aletta Stas et intégrée au Citizen Group, Frédérique Constant s’affirme aujourd’hui comme une manufacture innovante et fidèle à son ADN. Lors des Geneva Watch Days, son CEO revient sur la promesse d’un luxe de valeur, les défis d’un marché sous tension et l’émotion comme moteur d’expérience.
Sabrina Faubel
Dans un marché fragilisé par le ralentissement chinois et surtaxé aux États-Unis, comment défend-on encore un luxe dit accessible sans céder à la spirale inflationniste ?
Niels Eggerding
L’accessibilité ne veut pas dire compromis. Notre Quantième Perpétuel, lancé en 2016 à 8 000 euros, devrait aujourd’hui dépasser les 12 000 avec l’inflation. Nous venons de le relancer, revisité et techniquement amélioré, à moins de 10 000 euros. C’est ça notre promesse : offrir plus de valeur, tout en restant dans une gamme de prix juste. Dans un climat où beaucoup cèdent à la tentation de la hausse généralisée, nous restons fidèles à notre ADN : un luxe accessible, mais exigeant.
Sabrina Faubel
Les États-Unis sont devenus votre premier moteur de croissance. Comment abordez-vous ce marché si stratégique dans un contexte inédit ?
Niels Eggerding
En anticipant. Avant août, nous avons expédié quatre mois de stocks pour amortir le choc. En trois ans, nous avons ouvert 60 nouveaux points de vente avec près de 500 partenaires. Ce marché évolue vite et les retailers américains ont compris que l’expérience compte autant que le produit. Là-bas, un lancement devient une célébration, un rendez-vous. Cette agilité, cette proximité avec le consommateur, font toute la différence avec l’Europe.
Sabrina Faubel
Justement, vous pointez souvent le manque d’engagement des retailers. Qu’attendez-vous d’eux aujourd’hui ?
Niels Eggerding
Qu’ils passent d’une logique d’attente à une logique d’action. Trop d’acteurs laissent dormir leurs bases clients alors qu’elles devraient être un formidable levier. Inviter quelques collectionneurs à découvrir une nouveauté en avant-première, créer un moment d’exception : voilà ce qui transforme une simple présentation en expérience mémorable. Le temps de la vente passive est révolu. Aujourd’hui, il faut savoir créer une émotion. Parce qu’au fond, ce que le client emporte, ce n’est pas seulement une montre, mais une histoire vécue.
Sabrina Faubel
Votre appartenance au Citizen Group est parfois perçue comme un risque pour votre indépendance. Comment conjuguez-vous synergie et autonomie ?
Niels Eggerding
Ce n’était pas évident au début. Mais nous avons appris à travailler ensemble sans perdre notre identité. Nous partageons une vision commune tout en gardant notre autonomie sur des points clés comme la positionnement tarifaire ou le développement manufacture. Résultat : la relation est aujourd’hui fluide et harmonieuse. Nous restons une maison genevoise de 6 000 m² dédiée à la pure horlogerie, avec la liberté de tracer notre propre chemin, tout en bénéficiant de la solidité d’un groupe international. C’est une alliance qui nous permet d’innover sans perdre notre âme.
Sabrina Faubel
Vous mettez souvent en avant votre équipe. Quelle est votre philosophie de leadership ?
Niels Eggerding
Un CEO seul n’accomplit rien. Tout ce que nous avons réalisé, du développement de nos 34 calibres maison à l’expansion internationale, c’est le fruit d’un collectif. Mon rôle, c’est de donner une direction claire et d’insuffler une énergie. Mais la vraie force de Frédérique Constant, ce sont les hommes et les femmes derrière chaque innovation. C’est cette intelligence collective qui nous rend capables de rivaliser avec des acteurs bien plus grands que nous.
Sabrina Faubel
Aujourd’hui, les femmes affirment pleinement leurs choix en matière de montres. Comment avez-vous fait évoluer votre offre pour elles ?
Niels Eggerding
Pendant longtemps, séduire les femmes revenait à ajouter quelques diamants sur un cadran. Cette approche appartient au passé. Aujourd’hui, une femme achète seule, avec rapidité et assurance. Elle veut une montre qui reflète son style, épouse son poignet et s’intègre à sa vie. C’est l’esprit de notre dernière collection féminine, la Classic Manchette proposée à partir de 1295 €, qui rencontre un véritable succès. Preuve que prendre le temps d’écouter les femmes, c’est répondre à une aspiration profonde. Et lorsque c’est le cas, les résultats suivent naturellement.
Sabrina Faubel
Vos complications incarnent le savoir-faire de la Maison. Quelle place occupent-elles dans votre stratégie ?
Niels Eggerding
Elles sont une vitrine essentielle. Un tourbillon ne se vend pas en volumes : il représente à peine 7 % de nos ventes mais près de 50 % des conversations. Il crédibilise notre savoir-faire, nourrit le rêve et attire l’attention sur nos collections cœur de gamme. Chez Frédérique Constant, une complication n’est pas un objet d’ostentation, mais un symbole. Elle prouve que nous sommes capables d’innover au plus haut niveau, tout en restant fidèles à notre mission : rendre la belle horlogerie plus proche, plus accessible.
Sabrina Faubel
Et si tout devait se résumer en une phrase ?
Niels Eggerding
Rester fidèles à nos promesses : offrir une horlogerie suisse authentique, innovante et émotionnelle, au juste prix.