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« Sublimer l’héritage sans le figer : voilà notre ligne de conduite » Julien Rousseau, Arthus Bertrand

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C’est dans l’élégante sobriété du siège d’Arthus Bertrand, rue Royale, que Julien Rousseau nous reçoit. Serial manager du luxe, il a dirigé avec la même exigence plusieurs marques patrimoniales : Christofle, Goossens (au sein de Chanel), et aujourd’hui Arthus Bertrand, qu’il réinvente avec finesse. À chaque étape, une constante : sublimer l’héritage sans le figer, révéler la main de l’artisan tout en inscrivant la marque dans son époque.

Chez Arthus Bertrand, fondée en 1803, il orchestre un subtil trait d’union entre tradition, excellence française et esthétique contemporaine. Des décorations honorifiques aux bijoux… tout ici évoque une mémoire en mouvement. Et sous sa direction, la Maison prend un nouveau souffle, entre maîtrise artisanale et ambition internationale.


Alexis de Prévoisin

Faites-nous la photographie de l’entreprise.

Julien Rousseau

Arthus Bertrand est une entreprise familiale qui crée et fabrique en France des bijoux précieux, fondée en 1803 par Claude Arthus-Bertrand. À l’origine éditeur, notamment des récits de voyages de la Marine Royale, Arthus Bertrand fusionne ensuite avec la Maison Marion, spécialiste des insignes militaires, et s’oriente vers la fabrication de médailles, de décorations, puis de bijoux. Aujourd’hui encore, nous réalisons les décorations de la République française, notamment la Légion d’honneur — dont nous possédons les outillages de la première version à l’effigie de Napoléon — ainsi que des pièces de prestige comme le grand collier présidentiel ou des épées d’académiciens. Nous proposons également une collection de bijoux et de médailles directement héritée de notre savoir-faire d’origine.

Aujourd’hui, la réalisation de bijoux précieux en or et en argent représente l’essentiel de notre activité. Nos collections actuelles, comme Comédie, Enlacé, Les Étoiles, les médailles Astro, ou encore nos collaborations avec Rabanne ou le Château de Versailles, incarnent cette double exigence : une modernité respectueuse du patrimoine. Héritière d’un savoir-faire d’exception, la Maison a récemment présenté deux créations uniques pour la collection Enlacé Bold Joaillerie. Tout est conçu et fabriqué en France, dans nos ateliers de Saumur et de Palaiseau, où plus de 150 artisans perpétuent des savoir-faire d’excellence : dessin, gravure, estampage, émaillage, sertissage… Nous sommes l’une des rares entreprises du secteur à maîtriser depuis toujours l’ensemble de la chaîne : création, fabrication et distribution. Nous vendons dans nos 12 boutiques Arthus Bertrand en France et en Belgique, et avons ouvert cette année nos premières adresses en Corée.

© Arthus Bertrand

Alexis de Prévoisin

Quelle vision portez-vous pour Arthus Bertrand ? Quels nouveaux marchés ciblez-vous ?

Julien Rousseau

Nous voulons qu’Arthus Bertrand soit reconnu comme un artisan d’exception, créateur d’objets précieux porteurs de récits et de symboles. Nous accélérons le développement de notre activité à travers le digital, les collaborations, l’édition de collections capsules, et désormais l’export. Nous croyons au Made in France comme levier de séduction, notamment auprès d’un public international sensible à l’authenticité de nos produits.

La Corée du Sud représente notre premier pas à l’international. C’est un marché dynamique, qui apprécie les maisons à forte histoire. Nos médailles incarnent un style de bijoux encore peu répandu localement, et nos possibilités de personnalisation séduisent particulièrement. Nous envisageons d’y proposer des collections exclusives, créées avec des artistes coréens, afin de renforcer la pertinence et le succès de nos symboles dans leur culture.


Alexis de Prévoisin

Qui sont vos clients aujourd’hui ? Et qu’en est-il des Millennials ?

Julien Rousseau

Nous avons deux clientèles principales. La première, fidèle, vient acheter des bijoux célébrant certaines étapes de vie (baptêmes, mariages…). La seconde, plus récente, est composée de clientes qui apprécient nos médailles portées en accumulation, objets à forte valeur symbolique.

Pour les Millennials, nous avons lancé des lignes comme Les Messages, les médailles Astro ou encore la collaboration avec Rabanne : des créations personnalisables, mixtes, portables au quotidien, mais toujours chargées de sens. Leur rapport au luxe est immatériel, émotionnel : ils cherchent des objets qui racontent une histoire, un lien, un souvenir. C’est une quête de sens plus qu’un signe ostentatoire. Sur les réseaux sociaux, ce qui fonctionne, c’est lorsque nous racontons notre histoire ou montrons les coulisses de nos ateliers : il y a un véritable engouement pour l’authenticité de notre démarche.


Alexis de Prévoisin

Quelle est votre définition du luxe ?

Julien Rousseau

Le luxe, c’est la valeur immatérielle qui se greffe à la valeur d’usage : une esthétique, une signification, une mémoire, un objet d’artisanat. Prenez une médaille : ce n’est pas seulement un bijou en or ou en argent. C’est un talisman, un symbole, un souvenir, un lien entre les générations.


Alexis de Prévoisin

Quelles tendances voyez-vous émerger dans votre secteur ?

Julien Rousseau

Plusieurs. D’abord, le retour en force du bijou en argent, que nous travaillons avec la même exigence que l’or. Ensuite, une vraie tendance autour des médailles, ce qui constitue une opportunité pour nous. Enfin, une forte demande de personnalisation : les clients ne veulent plus un bijou standard, mais un bijou qui porte leur histoire, un prénom, une date, un symbole… Une manière d’ancrer l’objet dans leur vie et de le rendre unique.


Alexis de Prévoisin

Une sorte de mémoire intime portée sur soi ?

Julien Rousseau

Exactement. Aujourd’hui, porter un bijou, c’est affirmer quelque chose de soi, de ses valeurs, de son style. C’est devenu un langage. Et certaines clientes pratiquent l’accumulation de bijoux qui résonnent les uns avec les autres.


Alexis de Prévoisin

Et sur le plan environnemental ? Le secteur évolue ?

Julien Rousseau

Oui, de manière très concrète. On sent une forte attente de la part de tous. Chez Arthus Bertrand, nous utilisons déjà des métaux recyclés, mais nous sommes allés plus loin avec notre programme COLLECTOR : nos clients peuvent rapporter d’anciens bijoux, dont nous réutilisons le métal pour en réaliser de nouveaux. C’est une manière de donner une seconde vie aux bijoux, tout en réduisant l’impact environnemental de l’extraction d’or.

© Arthus Bertrand

Alexis de Prévoisin

"L’expérience client, c’est l’expérience collaborateurs" : votre vision de manager en action ?

Julien Rousseau

Julien Rousseau : Nos collaborateurs travaillent dans une PME où chacun a de vraies responsabilités et se sent valorisé. Leur énergie se transmet dans chaque bijou fabriqué ou vendu. Nos ateliers sont des lieux de transmission et d’excellence. Notre siège a été rajeuni, avec des équipes engagées, fières de notre progression et fidèles à l’entreprise. Quant à l’expérience client, elle doit être chaleureuse, authentique, avec un haut niveau de personnalisation et d’attention.


Alexis de Prévoisin

Comment commentez-vous cette citation : "Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté" ?

Julien Rousseau

Retrouver son enfance, c’est exprimer sa créativité aujourd’hui, en étant inspirés et fiers de nos origines. C’est notre singularité.

Consultant pour le Realty, le Retail et l’horlogerie, Alexis de Prevoisin accompagne les marques de luxe dans leur stratégie client, leur développement, la formation. Auteur-conférencier de "Store Impact" (Dunod) et "Retail Émotions", il est correspondant horloger et expert expérience client pour le Journal du Luxe.


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