Crise tarifaire : repenser la chaîne d’approvisionnement du luxe

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Avis de tempête sur la "fashion sphère" : comment les marques de luxe peuvent-elles repenser leurs chaînes d’approvisionnement face à la crise tarifaire ?

Depuis quelques années, le monde de la mode traverse des turbulences inattendues – non pas une question de goût ou de tendance, mais une affaire bien plus politique et économique : celle des taxes douanières internationales, autrement dit les "tarifs". Entre 2018 et 2020, les États-Unis ont imposé des surtaxes sur les vêtements, le cuir et les emballages importés, notamment en provenance de Chine et d’Europe. Ces mesures ont déclenché une série de représailles commerciales qui ont profondément bouleversé la chaîne d’approvisionnement de la mode.

Et depuis 2020 ? Le calme n’a été que temporaire : avec le retour de Donald Trump à la présidence américaine en 2025, les tarifs sont de nouveau sur la table, touchant des matériaux essentiels comme la soie, le coton ou les matières synthétiques. Pour les grandes maisons de luxe, cela représente un véritable casse-tête : comment continuer à produire sans faire exploser les coûts, ni rompre l’approvisionnement ?


Un secteur ultra exposé aux chocs mondiaux

Pourquoi la mode est-elle particulièrement vulnérable à ces tensions commerciales ? Parce qu’elle repose sur un modèle de production mondial extrêmement fragmenté. La majorité des marques s’approvisionne dans des pays comme la Chine ou l’Inde, qui fournissent à eux seuls plus de 40 % des tissus utilisés dans la mode mondiale. Or, ces pays sont précisément au cœur des guerres tarifaires actuelles.

Changer de fournisseur n’est pas une mince affaire : cela prend souvent entre 12 et 24 mois pour vérifier la qualité, la conformité, ou encore l’impact esthétique d’un nouveau tissu. Et certains matériaux, comme la laine ou la soie, n’ont tout simplement pas d’équivalents faciles à substituer.


De la réaction à l’anticipation : une révolution silencieuse

Face à ces incertitudes, les grandes maisons ne peuvent plus se contenter de contrôler les coûts à court terme ou les risques (qu’ils soient financiers ou d’image). Elles doivent repenser en profondeur leurs chaînes logistiques pour les rendre plus robustes, plus flexibles, et surtout moins dépendantes des zones géopolitiquement sensibles.

Trois grands axes se dégagent dans cette stratégie dite de "dé-risquage" :

  1. Comprendre son exposition : il faut d’abord cartographier l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement pour savoir quels matériaux viennent de quels pays, et identifier les zones à risque… ou à risque potentiel.

  2. Évaluer les scénarios et les coûts associés : combien coûterait un changement de fournisseur ? Quels seraient les impacts sur le prix final des produits ? Quelles économies sont possibles à long terme ? Quels investissements sont nécessaires à court terme ? Et quels effets sur la qualité, la durabilité ?

  3. Développer des alternatives concrètes : cela passe par une diversification des fournisseurs, la relocalisation partielle de certaines étapes de production, ou encore une refonte des modèles de distribution.


Des outils technologiques pour prendre de meilleures décisions

Pour accompagner cette transformation, certaines entreprises misent sur des technologies de pointe comme les jumeaux numériques (digital twins). Concrètement, il s’agit de reproduire virtuellement toute la chaîne d’approvisionnement pour simuler différents scénarios :
Que se passe-t-il si un tarif augmente de 20 % ? Si un marché de fournisseurs ferme ? Si les capacités des fournisseurs sur de nouveaux marchés de substitution sont rapidement "réservées" par la concurrence ? Comment la production et les stocks seront-ils affectés par l’instabilité liée à la réorganisation des stratégies d’approvisionnement ?

Grâce à ces modèles, les marques peuvent tester en amont les meilleures options, prendre des décisions éclairées, ajuster leurs prix, revoir leur logistique… et mieux résister aux futurs chocs économiques ou géopolitiques.

Elles gagnent en capacité de prédiction, en anticipation des risques – financiers comme non financiers – mais aussi en agilité lorsqu’il devient nécessaire d’opérer un changement en urgence.


Plus qu’une réaction, une opportunité ?

Ce bouleversement contraint les acteurs du luxe à sortir de leur zone de confort. Mais il ouvre aussi de nouvelles perspectives : relocalisation partielle en Europe ou en near-shore (Afrique du Nord, Moyen-Orient, Amérique centrale…), adoption de circuits courts, meilleure traçabilité des matériaux, nouvelles stratégies de responsabilité sociale et environnementale… Autant de démarches qui répondent aussi aux attentes des consommateurs en matière de transparence, de durabilité et d’éthique.

Dans un monde où le changement est devenu la norme, les marques qui sauront s’adapter vite auront une longueur d’avance.
Et si cette crise tarifaire devenait, finalement, une chance de se réinventer en profondeur ?

Certes, les tensions commerciales ont mis en lumière la fragilité du modèle mondialisé de la mode. Pour continuer à briller, les marques doivent désormais penser résilience avant tout : comprendre leur exposition, diversifier intelligemment leur chaîne d’approvisionnement, et s’appuyer sur la technologie pour piloter leurs choix.

Une mode agile, lucide et responsable : c’est sans doute cela, la prochaine grande tendance.

Anne-Laure Colcy, Executive Vice President, Capgemini Invent 

Article sponsorisé.

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