Jonathan, Demna, Matthieu… face à l’équation maudite du Luxe 25
Publié le par Eric Briones
Paris, 1er octobre, 14h30, Dior SS26.
Une pyramide inversée, un écran noir, et soudain les images d’archives découpées façon cauchemar par Adam Curtis : Yves Saint Laurent, Christian Dior, Galliano en astronaute, entrecoupés de plans d’horreur vintage. Une introduction dérangeante, comme une descente dans les abîmes de la mémoire.
J’ai ressenti plus qu’un malaise : une émotion brute. Jonathan Anderson apparaissait tel un Atlas contemporain, ployant sous le poids du monde ou plutôt sous le poids d’un secteur entier, en crise existentielle.
Son fardeau ? L’héritage de Dior, l’attente démesurée des marchés, la tyrannie des critiques.
Une figure presque christique, exposée, sacrifiée à l’autel de la mode.
L’équation maudite du luxe 2025
Cette nouvelle génération de directeurs artistiques Jonathan Anderson chez Dior, Demna convoqué chez Gucci, Matthieu Blazy bientôt chez Chanel doit résoudre une équation qui n’admet aucune solution :
PATRIMOINE INTOUCHABLE + DÉSIRABILITE ALGORITHMIQUE + CROISSANCE FINANCIÈRE IMMÉDIATE ÷ TEMPS LONG = CHAOS
Patrimoine : respecter l’ADN d’une maison mythique sans tomber dans le pastiche.
Désirabilité algorithmique : générer des images virales, saturées de symboles et de références, pour nourrir l’écosystème TikTok et Instagram, sans épuiser le public.
Économie : produire des best-sellers instantanés pour rassurer les actionnaires et relancer des maisons en perte de vitesse.
Temps : inexistant. Le luxe n’offre plus aux créateurs le luxe du temps.
Chaque variable contredit l’autre. Innover trop, c’est être accusé de trahison. Jouer la sécurité, c’est s’attirer le reproche d’ennui. Privilégier l’artisanat ralentit la machine économique. Favoriser le commerce dilue l’aura culturelle.
Le tribunal du "c'était mieux avant"
Comme si cela ne suffisait pas, plane au-dessus de cette équation un tribunal numérique permanent.
Sa sentence est connue d’avance : "c’était mieux avant".
Avant Galliano, avant Michele, avant Lagerfeld… Une mémoire sélective, souvent entretenue par ceux qui avaient eux aussi été critiqués à leurs débuts.
Chaque nouveau directeur artistique devient un coupable rituel. Jugé à la vitesse d’un post, réduit en mèmes, livré à la meute des mèmes. La critique constructive s’efface au profit de la punchline glaciale.
Le vrai drame stratégique
Nous ne sommes plus seulement dans une équation impossible. Nous sommes face à une équation maudite : un rite sacrificiel où les créateurs incarnent la crise existentielle du luxe, pris entre algorithmes, impératifs financiers et mémoire patrimoniale.
Demna, Anderson, Blazy… attendus comme des sauveurs, crucifiés dès la première hésitation.
Le luxe a toujours vécu de contradictions. Mais jamais elles n’ont été aussi brutales. Il faudrait un miracle pour résoudre l’équation maudite. Ou peut-être simplement ce que l’époque refuse obstinément : le temps long.
Taylor Swift, dans son dernier "Eldest Daughter", résume avec une lucidité pop ce tribunal numérique qui s’abat sur chaque créateur :
"Everybody’s cutthroat in the comments, Every single hot take is cold as ice."
Le luxe, lui, continue de chercher un chemin entre désirabilité et résonance, entre mémoire et futur. Une traversée sacrificielle, où chaque défilé devient l’écho d’une crise plus large : celle de l’équation maudite du Luxe 25.