Chronique

Tiffany & Co. : l'heure précieuse d’un joaillier-horloger

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Chez Tiffany, le temps ne s’égrène pas, il s’incarne. Dans l’univers feutré de cette maison new-yorkaise, chaque bijou raconte une histoire, et chaque montre devient une signature. L’horlogerie selon Tiffany & Co. ne court pas après la tendance : elle suit une ligne claire, tendue entre Broadway et Genève, portée par près de deux siècles d’inventivité raffinée.

L’aventure débute en 1847. Charles Lewis Tiffany, alors installé sur Broadway, vend des horloges venues d’Europe ou d’outre-Atlantique. Mais c’est en 1851 qu’un moment fondateur scelle la vocation horlogère de la maison : une alliance conclue par une poignée de main avec la manufacture Patek Philippe. Un accord simple, mais historique, qui fait de Tiffany l’un des premiers distributeurs officiels de la marque suisse aux États-Unis. À l’époque, bien avant l’essor de la montre-bracelet, la maison new-yorkaise devient déjà une référence.

© Tiffany & co

Très tôt, Tiffany comprend que l’horlogerie ne se limite pas à la précision mécanique : elle est aussi affaire de culture, d’image et de visibilité. En 1853, la figure du titan Atlas, portant une horloge monumentale sur ses épaules, est installée en façade du flagship new-yorkais. Cette figure allégorique devient aussitôt un symbole de ponctualité civique, un repère visuel dans la ville qui ne dort jamais. Elle demeurera l’un des emblèmes les plus puissants de Tiffany, traversant les époques jusqu’à inspirer des lignes de montres iconiques.

À la fin du XIXe siècle, la maison franchit une étape décisive en installant sa propre manufacture horlogère à Genève. L’ambition est claire : rivaliser avec les plus grandes maisons suisses, tout en affirmant une touche américaine, faite d’élégance et de raffinement. On y développe des montres à complications, des modèles sertis, des chefs-d’œuvre miniatures où l’expertise horlogère dialogue avec le langage joaillier. Cette esthétique singulière est profondément décorative, souvent féminine, toujours littéraire.

© Tiffany & co

Tiffany ne se contente pas de suivre le mouvement : elle l’anticipe. Elle invente des objets de mesure du temps qui sortent du cadre, comme la Tiffany Timer — premier chronomètre de sport et de science. Et, au fil des décennies, son style évolue sans jamais renier ses racines. De la lapel watch florale présentée à l’Exposition universelle de 1889 à l’Atlas® lancé en 1983 - clin d’œil assumé à la fameuse horloge new-yorkaise - Tiffany affirme une horlogerie narrative, stylisée, à la croisée du bijou et de l’instrument.

Le XXe siècle marque l’entrée de Tiffany dans une nouvelle dimension. Elle devient la maison des montres précieuses, des montres cocktail, des bijoux-horlogers rehaussés de saphirs ou d’émeraudes. Ces créations ornent les poignets des Premières Dames américaines, des icônes de Manhattan, mais aussi de chefs d’État. En 1945, une montre Tiffany est offerte au président Franklin D. Roosevelt, symbole de reconnaissance autant que de style. Un autre président, John Fitzgerald Kennedy, portera lui aussi une montre Tiffany, gravée d’un message personnel - cadeau de son épouse Jackie, juste avant sa campagne électorale de 1960.

L’horlogerie croise ici l’histoire, mais aussi l’art. Aux Foires mondiales comme aux Salons internationaux, Tiffany expose ses montres comme autant d’œuvres miniatures, mises en scène dans des vitrines pensées comme des cabinets de curiosités.

Depuis 2021, portée par la dynamique de son intégration dans le groupe LVMH, la maison Tiffany opère un retour structuré et assumé à l’horlogerie. Et ce retour se veut ambitieux, créatif, calibré pour durer. La ligne Eternity by Tiffany en est un premier jalon remarquable : chaque index est un diamant taillé différemment, hommage subtil aux campagnes publicitaires de la maison dans les années 1960.

D’autres collections viennent nourrir ce renouveau, comme Union Square, HardWear, ou encore Bird on a Flying Tourbillon. Elles croisent les codes emblématiques de la joaillerie Tiffany avec des savoir-faire horlogers helvétiques de haute technicité. Carat 128, quant à elle, incarne une apogée. Inspirée du mythique Tiffany Diamond, elle traduit une fusion rare entre storytelling, virtuosité et excellence joaillière.

© Tiffany & co

À l’horizon 2025, la maison dévoilera deux nouvelles lignes : Sixteen Stone watch by Tiffany et Rope. Inspirées des créations emblématiques de Jean Schlumberger, elles marqueront une première : l’introduction d’un mouvement solaire dans l’univers horloger Tiffany. Un choix audacieux, conjuguant élégance ornementale et conscience environnementale.

Car chez Tiffany, le temps n’est jamais banal. Il est promesse, déclaration, style. Chaque montre glissée dans la mythique Blue Box cristallise une exigence triple : un design sophistiqué, un esprit d’innovation, une qualité sans compromis. Dans un univers horloger en quête de sens et de différenciation, Tiffany & Co. déploie une alternative précieuse, celle d’un temps orné, pensé pour durer, à la croisée de la beauté, de la technique et de l’histoire.

Consultant pour le Realty, le Retail et l’horlogerie, Alexis de Prevoisin accompagne les marques de luxe dans leur stratégie client, leur développement, la formation. Auteur-conférencier de "Store Impact" (Dunod) et "Retail Émotions", il est correspondant horloger et expert expérience client pour le Journal du Luxe.

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