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Entre ordinaire et extra-ordinaire, quelle stratégie de l’attention adopter pour les Maisons de luxe ?

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La Gen Z vit les marques à la vitesse de scroll. Hyper-sollicitée, insaisissable, elle passe d’une marque à l’autre en un clin d’œil. Son attention est brève et son attachement fragile. 46 % des membres de la Gen Z ont déjà abandonné une marque simplement parce qu’ils s’en étaient lassés (Marketing Week, 2024). Alors, face à une génération qui zappe plus vite qu’elle n’achète, comment construire la fidélité ? Comment s’ancrer durablement dans leur esprit quand tout change en un instant ?

Pour Rémi Le Druillenec, co-fondateur de l’agence Héroïne, la réponse tient peut-être en une nouvelle posture : être là. Être présent. Tout le temps. Partout. Dans les moments du quotidien comme dans ceux plus exceptionnels. Une présence hors les murs de la boutique, que les Maisons doivent désormais maîtriser.

La stratégie de l’ordinaire : être là où les souvenirs se créent

La boutique ne suffit plus. Pour ne pas être oubliées, les marques doivent investir les lieux du quotidien, là où la vie s’incarne réellement : plages, villes, terrasses de cafés. Chaque espace devient un prétexte pour déployer leur univers de façon accessible et ancrée dans la réalité de leurs communautés.
L’été, les plages se transforment en terrains d’expression stratégiques. À travers des takeovers ou des pop-ups soigneusement scénographies, les marques y créent de véritables écosystèmes immersifs. De l’offre food à la décoration, chaque élément est pensé pour refléter l’ADN de la Maison, dans une logique d’expérience plus que de transaction.

© Dior

Le produit devient presque secondaire : c’est le moment partagé avec la marque qui prime. Dior en est un parfait exemple. Sur l’île de Capri, la Maison investit toute une falaise, intégrant plage, restaurant, boutique, jusqu’au pédalo, à l’effigie de la marque. Burberry, de son côté, a pris possession de l’hôtel The Standard à Ibiza, proposant une immersion complète dans son univers avec des soirées cocktails animées par des DJ, un photomaton à l’effigie de la marque et une sélection de produits. Toujours à Ibiza, Jacquemus habille une plage aux couleurs de sa collection La Croisière : terrain de pétanque, transats et pop-up store dressent un tableau fidèle à l’esthétique et au style de vie prônés par la Maison.

Les marques investissent également le quotidien urbain. Louis Vuitton maîtrise cet ancrage par une approche polymorphe et cohérente. D’abord à travers la gastronomie, avec un véritable maillage territorial de ses LV Cafés, de New York à Milan en passant par Saint-Tropez. Plus de quinze cafés existent déjà, installant la marque dans le quotidien de ses clients. Ensuite, elle tisse un lien avec la culture et le voyage via ses City Guides, qui dépassent le cadre des boutiques. À Milan, des kiosques urbains proposent ses guides ; à Arles, lors des Rencontres de la photographie, une boutique éphémère met en avant l’édition locale aux côtés des autres guides.

Enfin, la marque investit aussi le divertissement digital avec ses aventures immersives autour de Vivienne. La dernière initiative en date est Enigma II, un jeu interactif invitant à explorer Grasse et découvrir le patrimoine olfactif de la Maison. Ainsi, même sur leur téléphone, les membres de la communauté peuvent plonger dans l’univers magique de Louis Vuitton et de son personnage Vivienne.

© Louis Vuitton

Cette stratégie du quotidien permet de multiplier les points de connexion et de connivence avec la communauté, renforçant ainsi l’attachement à la marque.

La stratégie de l’extraordinaire : devenir un acteur culturel

Pour séduire une clientèle en quête de sens autant que de statut, les Maisons intensifient leur présence dans la sphère culturelle, cultivant un lien fort avec les univers artistiques et intellectuels qui inspirent leurs cibles. Elles transcendent ainsi leur rôle premier pour devenir des passeurs de patrimoine.

Cette stratégie repose sur deux mécaniques complémentaires. La première consiste à s’inviter dans les lieux de culture. Chanel, par exemple, affirme son positionnement à travers son mécénat de la Comédie-Française, un engagement qui résonne avec une cible sensible à l’excellence et à l’intellect.

De son côté, Saint Laurent étend son territoire en co-produisant des films tels qu’Emilia Perez, enrichissant ainsi son storytelling au-delà de la mode. À l’issue du premier défilé Homme de Jonathan Anderson pour la maison Dior était présenté le premier livre audio "Christian Dior et Moi" interprété par Louis Garrel, afin de pouvoir proposer des rendez-vous où culture et confidentialité se rencontrent. 

© Saint Laurent

La seconde mécanique consiste à faire entrer la culture au cœur de l’expérience en boutique. Tiffany, dans son tout nouveau flagship milanais, jalonne son parcours client d’œuvres d’art qui incarnent et prolongent son discours de marque. Un Picasso surplombe la collection dessinée par Paloma Picasso, créant un dialogue entre l’œuvre et les produits, tandis qu’un tableau représentant les ambassadeurs de la Maison met en scène ses créations joaillières. L’art devient ici un vecteur d’inspiration et de narration, bien au-delà de la simple mise en avant produit, et dessine un parcours rythmé et inspirant.

Acne Studios, quant à elle, a transformé l’une de ses anciennes boutiques parisiennes en galerie permanente accueillant expositions, conférences d’artistes et événements culturels, consolidant ainsi son positionnement au cœur d’un écosystème créatif.

En cultivant des liens profonds avec la culture et l’art, cette stratégie de l’extraordinaire élargit le champ d’influence des Maisons et renforce leur statut d’acteurs culturels, consolidant ainsi leur pouvoir d’attraction et leur légitimité auprès de leurs communautés.

Dans un monde où l’attention est évanescente, conjuguer l’ancrage du quotidien et l’incarnation de l’extraordinaire permet aux Maisons de construire une présence totale : intime et familière d’une part, culturelle et aspirante de l’autre. Plus qu’un produit, c’est une relation que les Maisons construisent, pas à pas, dans le quotidien comme dans l’exceptionnel.

Tribune écrite par Rémi Le Druillenec, CEO et co-fondateur de Héroïne, l’Agence de Design et Conseil en Expérience de marque.

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