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Voyage en Art Déco, nouvelle destination du luxe

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Attention au départ ! Sur terre, en mer comme dans les airs, le luxe promet de beaux voyages…

Estimé à 1,4 billion de dollars en 2023, le marché international du voyage de luxe devrait doubler d’ici 2030, avec un taux de croissance annuel de 7,9 %*. Rien d’étonnant quand on sait que le voyage arrive en tête des dépenses préférées des UHNWI (Ultra High Net Worth Individuals)**.

Ce marché, en plein essor et porté par des investissements majeurs, incarne aussi une autre manière de voyager, plus lente, plus introspective. Le "slow travel", comme on l’appelle, répond à un besoin d’expériences riches de sens, où le déplacement devient bien plus qu’une simple transition entre un point de départ et une destination.

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Suite à bord de l’Orient Express © Maxime d’Angeac

La légende du rail

S’il est un moyen de transport qui incarne à merveille le slow travel, c’est bien l’Orient Express.

Créé en 1883 par l’ingénieur belge Georges Nagelmackers, ce train aussi luxueux que confortable s’inspire directement des voyages qu’il effectua aux États-Unis en 1867. À bord d’un paquebot transatlantique, il découvre l’art de vivre à l’américaine : l’intimité des suites fastueusement décorées et l’atmosphère mondaine des salons, restaurants et espaces de divertissement. Une fois à terre, il expérimente les wagons-lits Pullman, au confort plus rudimentaire. De retour en Europe, il fonde la Compagnie internationale des Wagons-Lits et lance le mythique Orient Express.

Aujourd’hui, ce train de légende renaît grâce à la SNCF et au groupe Accor – récemment rejoints par LVMH.

C’est d’abord La Dolce Vita qui a ouvert la voie en avril dernier avec plusieurs itinéraires en Italie, très vite complets. Porté par les figures de Giò Ponti, Giulio Minoletti ou Gae Aulenti, le duo d’architectes milanais Dimorestudio lui a donné une esthétique rétro-chic, digne du glamour italien des années 60. Chaque voyage suit un rituel bien huilé : embarquement personnalisé, transformation nocturne des cabines, repas gastronomiques, ambiance musicale raffinée, carnet de voyage et cérémonie d’adieu…

Mais le plus emblématique des trains est encore en préparation, pour une inauguration prévue début 2027, soit cinquante ans après son dernier voyage, le 20 mai 1977.

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La voiture-bar de l’Orient Express © Maxime d’Angeac

L’architecte français Maxime d’Angeac dirige la création du nouvel Orient Express du XXIe siècle. Nourri par la tradition Art déco et la littérature du voyage, il s’est entouré des plus grands artisans : ébénisterie, orfèvrerie, marqueterie, marbrerie… pour créer des décors somptueux dans la lignée de René Prou et René Lalique, les maîtres d’œuvre du train des Années folles.

On y retrouve Rinck pour les boiseries en ébène de Macassar, Jouffre pour les sièges et canapés, Emmanuel Barrois et l’Atelier Pictet pour les cristaux taillés et miroirs biseautés, l’Atelier Raissac pour les motifs sculptés, Jean-Brieuc Chevalier pour les placages en bois brodé, l’Atelier d’Offard pour les éléments en carton-pierre, la Manufacture de Bourgogne pour les tapis de laine, Philippe Coudray pour les tentures en velours et soieries, etc.

"Pour ne pas tomber dans la caricature, nous avons réinventé un art de vivre autour d'un ADN puissant", précise-t-il.

Chaque détail favorise la contemplation : même l’angle d’ébrasement des fenêtres a été calculé pour maximiser la vue sans reflets et inviter la lumière et le paysage à devenir partie intégrante du décor.

Tout le talent de l’architecte s’exprime dans cet exercice délicat : créer une impression d’espace dans un volume restreint, préserver l’intimité, atténuer la promiscuité, insuffler la sérénité sans jamais tomber dans l’ennui.

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Suite panoramique à bord du yacht Orient Express Corinthian © Maxime d’Angeac

VUE "GRAND LARGE"

La légende Orient Express ne s’arrête pas aux rails : elle se prépare à voguer en Méditerranée.

Mis à flot le 16 juin dernier par les Chantiers de l’Atlantique, le yacht Orient Express Corinthian deviendra, à partir de mai 2026, le plus grand voilier de croisière au monde. Long de 220 mètres, il associera navigation assistée par IA et propulsion hybride (GNL et énergie éolienne), pour une croisière écoresponsable, proche du zéro émission.

Ce navire conjugue innovation technologique et raffinement décoratif, inspiré des paquebots transatlantiques mythiques comme le Normandie ou le France.

"Toutes les suites et tout l’univers de ce voilier ont été imaginés comme des espaces uniques, sortis de la grammaire décorative classique d’Orient Express, mais fidèles à ses codes si particuliers", précise Maxime d’Angeac, également maître d’œuvre de ce chantier monumental.

Il réussit à allier design industriel et exigence décorative pour créer un décor "cousu main", à mille lieues des standards de la croisière de masse. Les 54 suites, véritables appartements ouverts sur la mer, offriront des vues panoramiques à couper le souffle.

Dans ce sillage d’excellence, un autre palace flottant est attendu pour 2026 : le Four Seasons Yacht. Conçu par Tillberg Design of Sweden et Martin Brudnizki Design Studio, il proposera 95 suites baignées de lumière. La plus vaste (898 m²) offre une vue panoramique à 280° grâce à la plus grande surface vitrée jamais conçue en mer, pour un coût de conception de 4,5 millions de dollars. À l’intérieur, un motif soleil en marqueterie de paille rayonne dans une ambiance feutrée, ponctuée d’objets d’art, de luminaires choisis et de livres rares.

"Four Seasons Yachts représente un pilier essentiel de notre croissance future et de notre vision stratégique", explique Alejandro Reynal, président et PDG de Four Seasons, "alors que nous cherchons à capitaliser sur de nouvelles opportunités et à affirmer la singularité de notre marque à travers des expériences de luxe immersives, sur terre comme sur mer."

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Suite à bord du Four Seasons Yacht © Four Seasons

Plus intime, plus lente, plus exclusive, cette nouvelle hospitalité maritime dépasse la simple croisière : c’est une bulle hors du temps, où l’on cultive autant le corps que l’esprit, une invitation à savourer l’instant, à contempler l’horizon en symbiose avec les décors sur mesure embarqués.


Refuge en altitude

À contretemps de ce grand ralentissement, le marché de l’aviation privée connaît lui aussi une envolée. Plus pragmatique que holistique, ce mode de transport offre un rapport au temps exclusif et affranchi des contraintes. Voler en jet permet de rejoindre des destinations inaccessibles par l’aviation commerciale, de maîtriser un agenda serré… et de voyager dans des conditions d’exception.

Paradoxalement, malgré sa vitesse, le jet privé devient souvent pour son propriétaire un refuge dans les airs, une bulle suspendue. Le design y joue un rôle central : assises en cachemire et cuir tressé, moquette de laine, bois précieux, œuvres d’art, chaque centimètre est pensé pour créer un cocon personnalisé.

Certaines agences s’en sont fait une spécialité, comme Pinto Design, qui signe un à deux avions par an depuis 25 ans. Leur projet le plus emblématique : le "Château volant", un Boeing BBJ 747-8i dont l’aménagement a coûté 200 millions de dollars.

Airbus A319 Pinto Design
Airbus A319 © Pinto Design

Mais l’aviation pourrait elle aussi adopter une nouvelle lenteur. D’ici 2030, des croisières de luxe pourraient être proposées à bord de l’Airlander, dirigeable du XXIe siècle capable de voler cinq jours durant à basse altitude, à une vitesse de croisière de 130 km/h, pour admirer les paysages.

En attendant, LVMH propose déjà une alternative immobile avec Le Louis, un bâtiment-paquebot ancré au cœur de Shanghai. Cet espace hybride mêlant café, boutique et exposition invite à un périple intérieur, à la croisée de l’art, de l’artisanat, du patrimoine et des sens.

Le Louis LVMH
Le Louis © LVMH

Ernest Hemingway disait : "Il est bon d’avoir une fin vers laquelle voyager ; mais c’est le voyage qui compte, en fin de compte."

C’est exactement ce que semble exprimer le voyage de luxe dans notre époque trop pressée. Le transport redevient une expérience totale, respectueuse de l’environnement, aussi sensorielle que culturelle, portée par des architectures d’exception en harmonie avec les paysages traversés.

Hier encore synonyme de vitesse, le luxe questionne aujourd’hui son propre tempo. Une allure modérée permet de savourer le temps, de se reconnecter à soi-même. Embarqué dans un véhicule clos et en mouvement, l’esprit s’apaise. La lenteur devient une invitation à la contemplation.

Le roulis cadencé des bogies, le ronronnement feutré des moteurs nourrissent l’introspection. Le voyage devient intérieur.

Et d’une certaine manière, le slow travel et ses attributs décoratifs font écho à l’essence même du luxe : le slow made, rythme lent de l’artisanat.


*Étude Grand View Research, in "Huit tendances pour les voyages de luxe en 2025", Forbes France, février 2025
"The New Lines of Luxury – Delivering on the Expectations of Ultra-High-Net-Worth Individuals", Frog Capgemini Invent, juin 2025.

Bénédicte de Renty-Lévy est spécialisée en communication pour l’artisanat d’art du luxe, les arts décoratifs et le patrimoine, qu’elle exerce auprès de maisons françaises d’excellence.

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©Maxime d’Angeac

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