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« Le luxe doit évoluer vers moins de marketing et plus de sincérité » Pauline Laigneau, Gemmyo
Publié le par Eric Briones
Face au ralentissement du luxe, la joaillerie tire son épingle du jeu, en particulier Gemmyo. Portée par une valeur perçue forte et une exigence éthique accrue, la maison française séduit une clientèle en quête de sens. Pauline Laigneau, co-fondatrice, dévoile la stratégie de la marque, entre croissance internationale et campagne publicitaire d’un nouveau genre.
Journal du Luxe
On parle beaucoup de luxe fatigue, mais la joaillerie semble résiliente. Les résultats de Richemont, notamment chez Cartier, Van Cleef ou Tiffany, sont impressionnants. Ressentez-vous aussi cette dynamique chez Gemmyo ?
Pauline Laigneau
Effectivement, certaines maisons se détachent. Elles font un travail remarquable, avec des ADN de marque très forts. Je pense à Van Cleef, par exemple, que j’admire beaucoup et qui continue d’afficher des résultats solides. Ce qui explique cela, c’est la valeur perçue. Le client qui achète un bijou Van Cleef sait que la matière est précieuse, que le prix, certes élevé, correspond à une réalité. Ce n’est pas forcément le cas dans d’autres segments du luxe, comme la maroquinerie, où l’écart entre prix de revient et prix final peut susciter des critiques, notamment sur les réseaux sociaux.
Cela dit, il ne faut pas idéaliser : la joaillerie ne se porte pas globalement bien. Beaucoup de maisons traversent des difficultés, comme l’ensemble du secteur du luxe. Van Cleef est une exception, mais la crise est bien réelle.
Chez Gemmyo, la différence est que nous n’avons jamais voulu nous positionner comme un acteur du luxe traditionnel. Depuis notre création, il y a 14 ans, nous développons une approche que j’appelle le Smart Luxury : une vision qui combine élégance, qualité réelle et prix juste. Notre clientèle recherche cette cohérence. Et c’est ce qui fait que, depuis janvier 2025, nous enregistrons une croissance à deux chiffres, en France comme au Japon, où nous sommes présents depuis un an.
Journal du Luxe
Il existe aussi une crise morale dans le luxe, marquée par une multiplication de scandales liés au manque de transparence, aux conditions sociales ou à la sous-traitance. Des problématiques dont la joaillerie semble en partie s’être prémunie, ayant engagé depuis les polémiques sur les blood diamonds un véritable travail sur l’éthique.
Pauline Laigneau
Oui, la joaillerie n’a pas eu le choix. Les scandales des années 1990 ont obligé le secteur à travailler sur l’éthique et l’empreinte carbone. Mais il faut relativiser : la joaillerie représente des volumes d’extraction bien inférieurs à ceux de la mode. Et surtout, tout est recyclable : l’or, par exemple, ne se jette pas. En comparaison, la joaillerie est donc un meilleur élève que d’autres segments. Cela n’empêche pas une défiance croissante du consommateur, qui demande davantage d’honnêteté. Les réseaux sociaux ont rendu plus difficile toute opacité. Le luxe doit donc évoluer vers moins de marketing et plus de sincérité.
Journal du Luxe
On voit aussi émerger la tendance des charms, ces petits bijoux décoratifs qui s’accumulent sur les sacs et bijoux. Comment voyez-vous ce phénomène et est-ce que Gemmyo se positionne sur ce secteur ?
Pauline Laigneau
Chez Gemmyo, nous restons concentrés sur des matériaux précieux : or 18 carats, platine, pierres précieuses. Si nous abordions le sujet des charms, ce serait avec cette exigence.
En revanche, la personnalisation est au cœur de notre offre. Nos clients aiment composer leurs propres créations, notamment en combinant plusieurs bagues. Cela répond au besoin, surtout des jeunes générations, de raconter leur histoire personnelle à travers leurs bijoux. C’est pour moi le vrai luxe d’aujourd’hui, à l’opposé d’un luxe logotypé et standardisé.
Journal du Luxe
2025 est une année d’accélération pour Gemmyo. Vous avez ouvert un nouveau flagship et lancé une campagne présentée comme révolutionnaire. Pouvez-vous nous en parler ?
Pauline Laigneau
Avec cette campagne, Gemmyo s’affirme comme une joaillerie d’intention. L’idée est de redonner du sens : chaque création doit révéler un souvenir, une émotion, pas seulement une matière précieuse. La démarche est aussi innovante dans sa conception. En tant que marraine de la Paris School of Luxury, j’ai lancé un concours auprès des étudiants. Ceux qui ont proposé le meilleur projet ont eu la chance de voir leur campagne réalisée et diffusée, à Paris comme à l’international. C’est une manière d’être smart : révéler de jeunes talents, mais aussi démontrer que nous pouvons créer de très belles choses en interne, avec nos équipes, et en maîtrisant les budgets.
Journal du Luxe
Ces étudiants étaient aussi des clients Gemmyo. Il y a donc une résonance particulière avec la clientèle…
Pauline Laigneau
Absolument. C’est ce qui rend cette campagne encore plus forte : elle est le fruit d’une co-création avec des jeunes qui connaissent la marque, qui en sont parfois clients, et qui partagent déjà notre univers. Cela lui donne une authenticité supplémentaire. L’idée est très poétique : suggérer qu’un moment de vie a été immortalisé à travers un bijou. La campagne ne montre pas une égérie mais un couple, une image subtile qui laisse place à l’imaginaire. On se projette : qu’a-t-il pu se passer ? Quel souvenir ce bijou symbolise-t-il ? Avec une seule image et presque aucun mot, nous sommes dans l’émotion pure. Et pour moi, c’est cela le vrai luxe.
Journal du Luxe
Vous aviez déjà marqué les esprits avec la campagne du petit chat rose. En termes de performance, que représente cette nouvelle campagne ?
Pauline Laigneau
Le chat rose, conçu avec BETC, a été un véritable ovni dans l’univers de la joaillerie. C’était une campagne formidable car elle traduisait notre indépendance d’esprit et affirmait Gemmyo comme un nouvel acteur différent, audacieux. Mais en termes d’émotion, elle ne disait pas grand-chose sur le lien intime qu’un bijou peut avoir avec la vie de nos clients.
Avec cette nouvelle campagne, nous avons voulu aller plus loin. Nous parlons aujourd’hui d’une joaillerie d’intention : montrer que chaque bijou est lié à un moment de vie, à une histoire personnelle, et qu’il a une dimension émotionnelle forte. C’est un brief que les étudiants ont parfaitement compris et qui, je me suis aperçue, est très transgénérationnel. La campagne bénéficie d’un déploiement d’envergure : une bâche monumentale de 250 m² en plein cœur de Paris, une présence dans le métro, sur les abribus, en digital, mais aussi des relais en région, en Belgique, en Suisse à Genève. C’est une campagne internationale, à la fois offline et digitale, qui repositionne la marque dix ans après le chat rose et qui raconte vraiment qui nous sommes devenus après toutes ces évolutions.

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